Cali en interview : « J’ai très peur du grand chelem avec Poutine, Trump et Marine Le Pen »

Cali a publié au mois de novembre son septième opus dont il extrait à présent le titre « Sweetie ». Il évoque son histoire avec aficia !

Et de sept ! Cali a publié en novembre dernier son septième album Les choses défendues, toujours aussi engagé mais plus imagé, dont il avait dans un premier temps extrait le titre « I Want You ». Actuellement en tournée, le chanteur qui poursuit sa route avec le single « Sweetie » partage avec nous ses sources d’inspiration et raconte la vie d’un père de famille amené à appréhender le monde différemment.

Un an seulement s’est écoulé entre la sortie de votre précédent album L’âge d’or et le nouveau. C’est un rythme plus rapide qu’habituellement pour vous. Qu’est-ce qui a motivé d’aller aussi vite ?

C’est vrai que ça a été rapide. Ma maison de disques m’a d’ailleurs prévenu qu’en termes de marketing ce n’était pas une bonne idée. Mais moi je m’en moque ! Je me suis rendu compte que, depuis le temps que j’écris des chansons, ça me fait du bien de le faire. C’est comme une petite bulle d’oxygène. Et comme tout le monde j’aime réitérer les actions qui me font du bien. Là, en l’occurrence, j’avais pas mal de chansons. Comme sur tous mes albums, elles racontent ma vie. Elles parlent de moi et de tout ce qu’il y a autour de moi. Si j’avais attendu deux ans pour les publier, ça n’aurait plus du tout correspondu à mon état d’esprit. Donc c’était maintenant. Et j’avais d’autant plus envie d’aller les défendre sur les routes.

Est-ce que ça veut pas dire qu’être artiste, ce n’est pas aussi être égoïste ?

Si, complètement ! C’est être égoïste dans ce sens ‘Je veux me faire du bien’. Mais je fais aussi des chansons pour faire du bien aux gens. C’est donnant-donnant. (Sourire)

Je n’ai pas bien saisi le sens donné au titre de cet album, Les choses défendues

Souvent, les chanteurs disent qu’ils ne savent pas quel titre donné à leur disque. Ça peut m’arriver aussi. Là, c’est justement ce qu’il m’était arrivé… Pendant mon adolescence, j’ai fait des choses qui étaient défendues. J’ai fait une fugue amoureuse à 16 ans. Je suis allé rejoindre une Anglaise qui était venue dans mon village. J’ai loupé les cours. La police m’a cherché pendant près de deux mois. Chez moi vous imaginez ce que ça a fait… (Sourire)

J’imagine surtout la réaction de vos parents à votre retour !

En fait, quand je suis rentré, mon père a eu une réaction incroyable. Il m’a pris dans ses bras. Cette réaction m’aide beaucoup aujourd’hui, y compris dans l’éducation de mes enfants. Pour moi, ces choses défendues sont fondamentales dans la construction d’une vie. Aujourd’hui, je prends des décisions liées au cœur et à l’instant, sans doute parce que j’ai vécu ce moment-là. Les fruits défendues, c’est un appel à la jeunesse. Je lui dis qu’être entouré c’est bien, mais que seul le cœur doit nous guider. On a un chemin qui est tracé, mais c’est bien parfois d’en sortir pour aller croquer à droite, à gauche.

« J’ai voulu aller au Bataclan pour tous ceux qui sont morts là »

« Sweetie », votre nouveau single, c’est aussi l’une de ces ‘choses défendues’ et qui fait beaucoup de bruit en ce moment.

Au premier abord, on peut penser que c’est un garçon qui crie sa flamme à sa chérie. La seconde lecture pourrait représenter un couple de migrants qui vit dans un pays en guerre. L’homme dit à celle qu’il aime : « Il ne faut plus s’inquiéter, là où nous irons nous serons bien accueillis ». Je défends une association qui s’appelle Habitat et Citoyenneté. Ces gens-là vont chercher de manière illégale des personnes échouées. Comme à Lampedusa par exemple. Ils leur font passer la frontière française pour les aider à refaire leur vie ici. C’est défendu ce qu’ils font, mais c’est beaucoup plus défendu que de laisser mourir des gens, non ?

Découvrez le nouveau single « Sweetie » de Cali :

Vous parlez beaucoup d’enfance, moi je parlerais aussi volontiers de l’innocence qui nous a quittés. Comme vous le dîtes, cet album est une nouvelle tranche de vie, mais il représente aussi d’une certaine manière le temps qui passe. C’est une notion qui vous préoccupe aujourd’hui, à votre âge ?

Oui, effectivement c’est quelque chose qui m’a presque toujours préoccupé. Et le presque est important. Sur ce disque, il y a une chanson qui s’appelle « Seuls les enfants savent aimer ». Là, je me vois en train de regarder la neige par la fenêtre de ma chambre. Je sors pour être le premier à marcher sur la neige. Tout ça, pour moi, c’est la pureté. Évidemment, par rapport au temps qui passe, quand on est enfant on n’en a pas conscience. Ni de la mort d’ailleurs. Je vieillis et je vois donc des gens s’éteindre autour de moi, des proches. Ce qui me terrorise, c’est l’ordre de la vie. Je dois partir avant mes enfants.

Y-a-t-il des choses que vous regrettez, soit en tant qu’artiste ou dans les choix que vous avez fait dans la vie ?

Il y a certaines choses… Mais je dirais surtout que j’aime beaucoup la phrase : « Regretter des choses c’est courir après le vent ». J’ai peut-être fait des choses qui n’étaient pas bonnes dans ma carrière, mais elles m’ont permis d’ouvrir d’autres portes que je n’aurais sans doute pas ouvertes. Aujourd’hui, tout le monde crache tout dans les médias ou sur Internet. Que ce soit les artistes ou des anonymes. Moi, avant, ce qui m’attirait dans la musique avant de démarrer, c’était le mystère de la musique et des musiciens. Ado, je regardais une photo d’un groupe et je l’imaginais en train de répéter en studio… Aujourd’hui, on donne tout. J’ai l’impression qu’on a perdu tout ça. Alors, c’est vrai que j’ai montré et dit beaucoup de choses. Et je pense que ça je le regrette un peu.

La première piste de l’album, « À cet instant je pense à toi » , évoque le drame du 13 novembre 2015. Vous n’êtes pas le seul artiste à vous en être inspiré. Pensez-vous que ce soit le rôle des artistes de veiller à la postérité de ce triste événement ?

Est-ce qu’il faut se poser cette question ? Moi, quand j’écris une chanson, je ne me pose pas la question de savoir sur quoi je vais pouvoir écrire. Comme je l’ai dit à l’instant, les chansons arrivent parce qu’on a besoin de les écrire. Le lendemain du 13 novembre, j’ai écrit une chanson qui s’appelle « On ne se lâchera pas la main ». J’ai eu besoin d’écrire en voyant tous ces gens qui ont mis une bougie à leur fenêtre, comme je l’ai fait en même temps que mon voisin. On s’est regardé, on ne se connaissait pas bien mais on était tout d’un coup lié par un événement. Quand je l’ai écrite, je n’ai pas tout de suite pensé au 13 novembre. C’est après que j’ai compris que ça parlait de ça.

« Une chanson, c’est ouvrir une porte, entrer dans une pièce et décrire ce que l’on voit »

Est-ce que c’était en revanche important pour vous de faire une escale au Bataclan ce mois-ci ?

Oui, bien sûr. C’est la salle de mon tourneur. Cet homme-là fait tourner des musiciens pour partager de l’amour, et ce soir-là il a vu une centaine de morts dans sa salle. C’est assez terrible. J’ai voulu y aller pour lui et pour tous ceux qui sont morts là. Je veux aussi que ça revive, et ça revit. Donc je suis content ! (Sourire)

Je voulais m’arrêter un instant sur le titre « Elle a mal » et en savoir un peu plus sur les situations qui vous l’ont inspiré ?

Une chanson, c’est ouvrir une porte, entrer dans une pièce et décrire ce que l’on voit. Quand j’ai ouvert cette porte, je me suis souvenu de cette femme qui était venue me voir, rayonnante, et là elle était totalement éteinte. Elle était perdue. Elle avait cette tristesse d’une femme battue. Et j’ai écrit cette chanson-là en pensant à elle.

À mes yeux, le titre phare de cet album est « À cet instant je pense à toi », qui nous renvoie à une image assez pessimiste de notre monde. Quel impact comptez-vous avoir ? Comment pensez-vous qu’on puisse changer le monde ?

C’est un titre craché très vite, avec une seule prise de voix. Mais surtout, c’est l’info. On a notre cœur qui nous ramène à des choses, et en même temps notre télévision, notre téléphone et notre ordinateur qui sont allumés et qui déversent un flot d’informations en continu. Je parle de cet homme qui est condamné à mort depuis 40 ans, mais qui attend qu’on vienne le chercher. Je parle des oiseaux qui vivent à côté des bateaux échoués qui se vident de leur pétrole. Je parle du courage des Femen. Je repense aussi à mon grand-père qui est mort en 1988, communiste, et qui n’a pas vu ses utopies voler en éclat après la chute du mur… C’est ça cette chanson-là.

Écoutez le titre « À cet instant je pense à toi » de Cali :

Comment peut-on rester optimiste en dressant ce constat ?

On est obligé de rester optimiste. Gamin, malgré les chagrins, j’ai toujours eu l’horizon dégagé. J’ai des enfants, je dois leur expliquer qu’il est impossible que tout s’arrête, qu’il faut continuer de regarder le soleil qui est droit devant. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas désolé en voyant ce qu’il se passe en Syrie, et notamment à Alep.

Ne serait-ce pas le rôle des politiques de nous aider à garder le moral dans ces temps difficiles ?

Leur rôle, c’est de proposer des choses. C’est le rôle des médias aussi. Je leur en veux. Ils montrent toutes les affaires des canailles, et je trouve ça dur. Comment aller dire aux mômes d’aller voter après ? On les dégoûte direct.

La boucle est boulée. Nous disions au début de cette rencontre qu’il fallait savoir cacher des choses et ne pas tout montrer… Mais, pour autant, cette élection présidentielle ne vous inquiète pas compte tenu de l’incertitude qui plane ?

Pour moi, les élections ont toujours été des moments d’euphorie. Je m’y suis toujours intéressé. Sauf que là, j’y vais à reculons. J’ai beaucoup de questionnements. J’ai très peur du grand chelem avec Poutine, Trump et Marine Le Pen.