Marjolaine Piémont en interview : « La légèreté permet d’accepter beaucoup de difficultés dans la vie »

Révélée dans le conte musical ‘Sol en Cirque’ puis dans ‘Mozart l’Opéra Rock’, Marjolaine Piémont présente un premier disque cohérent et mordant. Découvrez son interview pour aficia !

C’est dans la lignée de nos plus grandes artistes françaises à texte qui osent prendre des risques que Marjolaine Piémont s’inscrit. Originaire d’Alsace, l’artiste compte bien tracer son chemin avec des productions percutantes et bavardes comme l’atteste le très abouti Sans le superflu, un premier disque studio qui donne ainsi suite à l’EP Presqu’un animal paru en 2016.

Mais au-delà d’un univers musical singulier, Marjolaine Piémont rayonne également grâce à une personnalité lumineuse, espiègle mais aussi résolument féminine et forte. Nous nous sommes entretenus avec cette artiste complète qui se livre sur ses projets, son rapport à la scène ou encore sur la place des femmes dans le milieu artistique…

Marjolaine Piémont… l’interview !

Deux ans après l’EP Presqu’un animal paraît votre premier disque studio, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

C’est encore très excitant de sortir un nouveau disque après un premier EP, un album composé de 13 titres qui s’appelle Sans le superflu. Et c’est tout aussi excitant de se demander comment le public va réagir en écoutant les chansons.

Comment qualifierez-vous votre univers musical ?

Disons que je fais de la chanson féminine piquante. Piquante comme les poils d’un homme !

La parution de votre disque nous rappelle pourtant que nous vous connaissions depuis le conte musical Sol en Cirque en 2005 puis Mozart l’Opéra Rock au début des années 2010. Pourquoi s’est-il écoulé autant de temps avant l’arrivée d’un projet studio ? 

C’est difficile de figer une chanson sur un instant T en studio

Je pense qu’il y a eu beaucoup de méandres, de ronds-points mais aussi des stops et de nombreuses trajectoires. Lors de la création, on se demande si l’on va figer telle ou telle chanson ‘comme ça‘, écrire ‘comme ça‘, avec ces arrangements-là… Puis un jour on se dit qu’il faut arrêter de tourner autour du pot, il faut enregistrer la chanson pour qu’elle puisse faire son petit chemin. J’aime beaucoup jouer les chansons sur scène, c’est vraiment ce qui me passionne le plus et donc c’est difficile de figer comme ça une chanson sur un instant T en studio. C’est comme un accouchement et c’est difficile d’accoucher !

Sans le superflu, le nom du disque est en parfaite adéquation avec le visuel sur lequel on aperçoit un homme dévêtu tandis que vous abordez une allure quelque peu triomphante. Que vouliez-vous véhiculer comme message ?

Simplement qu’une femme n’a pas besoin de grand-chose. Sans le superflu, c’est-à-dire un chien, un homme, un canapé. Il n’y a pas de lampe, de décorations et de fioritures, il s’agit-là de l’essentiel.

Dans la chanson « C’est beau un homme à poils », vous vous interrogez quant à cette mode qu’ont les hommes de s’épiler et d’accorder une grande importance à leur apparence physique. N’est-ce pas paradoxal alors de ne pas avoir un homme à poils sur la pochette ? 

Oui, ça ne vous aura pas échappé qu’il y a le jeu de mot entre un homme à poils et l’homme poilu ! Figurez-vous que j’ai cherché des hommes poilus qui soient d’accords de poser sur mon album mais je n’en ai pas trouvé. Mais j’ai trouvé que c’était marrant d’avoir le modèle du chien bien poilu puisque dans la chanson je précise « qu’un homme à poils c’est mieux qu’un chien » à côté de cet homme à poil mais sans poils !

Marjolaine Piémont - DR

Dans ce disque, il y a justement beaucoup de chansons malicieuses et sensuelles, l’homme occupant une place centrale. Est-ce que l’amour et le rapport entre l’homme et la femme sont des thématiques qui vous fascinent ?

Ce sont mes grands sujets de prédilection. Pendant longtemps, j’ai essayé de me dire qu’il faudrait que je change de thèmes d’inspiration. Au départ, je me suis dit que j’allais m’intéresser au rugby, aux navettes spatiales et aux cardiopathies congénitales mais quand j’ai décidé d’écrire sur le rugby, on m’a offert le calendrier des Dieux du Stade et avec le corps de ces hommes dans la mêlée, j’ai de suite pensé que j’allais retomber dans mes anciens travers. Concernant les navettes spatiales, quand j’ai vu les fusées se pressaient dans le ciel, je me suis dit que là encore j’allais tomber dans mes travers… Et quant aux cardiopathies congénitales, quand j’ai compris ce que ça voulait dire, que c’était des maladies liées au cœur, j’ai raccroché ça à des maladies liées au cœur de l’amour donc forte de ces expériences, j’ai décidé de continuer d’écrire sur mes thèmes de prédilection.


C’est important que les femmes puissent parler de ce qu’elles ont pu vivre comme violences, comme échecs…

Parlons maintenant du très bon single « Je suis bonne » dans lequel vous citez notamment Simone de Beauvoir qui est une figure emblématique du féminisme en France. Quelle est la place des femmes dans le milieu artistique et est-ce que le fait d’être une femme a pu vous fermer des portes ? 

Je pense qu’il y a de toute façon des atouts à être une femme mais également des contreparties. Comme dans le fait d’être un homme d’ailleurs. Mais je dirais que dans notre société, il y a plus d’atouts à être un homme et là beaucoup d’entre eux s’exclameront que c’est parce que je ne vis pas dans tel pays ou je ne sais pas quoi. Il ne faut pas exporter le problème, c’est vrai que notre société rencontre des difficultés. On a bien vu tous les problèmes, les tweets porteurs des hasthags ‘#MeToo’ ou ‘#BalanceTonPorc’ mais même sans aller jusque là parce que ça me semble extrême, c’est important de libérer la parole et que les femmes puissent parler de ce qu’elles ont pu vivre comme violences, comme échecs mais aussi pour que les hommes puissent comprendre ce qu’il se passe véritablement pour les femmes. De nombreux hommes sont tombés des nues en voyant justement ces hasthags. Beaucoup ont compris ce qu’ils n’avaient jamais vu. C’est important d’avoir le témoignage de ces femmes pour que nos sociétés puissent grandir.

C’est justement un sujet sensible mais vous gardez beaucoup de légèreté, notamment à travers un clip délirant et féminin. Est-ce que ce paradoxe d’écrire sur des sujets sensibles tout en gardant de la légèreté vous tient à cœur ?

J’aime beaucoup la légèreté parce que je trouve qu’elle permet d’accepter beaucoup de difficultés dans la vie et j’aime bien voir de la légèreté, même dans les parties les plus sombres de l’être humain. Avec ce clip, c’est une femme qui prend position, c’est-à-dire qu’elle se rend compte qu’elle est complètement soumise. Dans la vidéo, on est vraiment sur la dénonciation du corps féminin dans les médias mais dans la chanson, c’est surtout la dénonciation d’une femme qui ne prend pas la parole jusqu’à la fin du texte où elle décide enfin qu’il faut que ça change.

Visionnez le nouveau clip de Marjolaine Piémont :

Dans le disque, il y a également des chansons plus intimes, plus douces comme « Il était une fois ». Est-ce un titre autobiographique ?

Disons que je m’inspire forcément de mon vécu mais aussi de toutes les personnes qui me confient leurs difficultés et de mes amis. Je pioche ici et là des idées pour en faire des chansons. C’est en quelque sorte un amalgame entre ma vie mais aussi celle des autres.

Parce que c’est justement une chanson dans laquelle vous sembliez entretenir une relation forte avec une sœur mais ça n’a pas toujours été le cas lorsque vous dîtes notamment : « Elle a de beaux cheveux blonds / Moi de pauvres yeux marrons qui la jalousent sans cesse ». Comme si l’arrivée de cet être venait rompre l’équilibre familial… 

C’est complètement ça ! La famille est comme un modèle réduit de la société et je pense qu’au sein de la famille, l’arrivée d’une autre personne remet tout en cause. Il y a un équilibre à deux et lorsqu’il y a l’arrivée d’un premier enfant, il faut retrouver un équilibre à trois… L’équilibre est de nouveau rompu avec l’arrivée d’un autre enfant. Je pense que c’est très difficile pour les parents de recréer cet équilibre car il y a plein de choses qui rentrent en ligne de compte et pour l’enfant également. Ce dernier se sent bercé, choyé seul pendant des mois voire des années et d’un coup, l’introduction d’un nouveau-né va forcément attirer l’attention. Je pense qu’il y a des places difficiles à tenir dans la fratrie en tant qu’aîné mais aussi en tant que deuxième ou troisième.

Je voulais également parler de « Vieille », une chanson poignante qui clôture l’opus et dans laquelle vous évoquez la maladie d’Alzheimer. Mais il y a beaucoup de bienveillance et de poésie dans vos mots quand vous prononcez : « Pour tuer le temps, j’ai un amant / Je l’aime à perdre la raison / Alzheimer c’est son prénom ». Une thématique rarement mise en musique, pourquoi avoir fait ce choix ? 

Parce que j’ai beaucoup travaillé dans des EHPAD, dans des maisons de retraite et c’est vrai qu’au départ, je revenais très triste des concerts parce que le public me renvoyait une image de décadence absolue de l’être humain à la fin de sa vie. Et en fait quand on y pense, je me suis demandée ce qui pourrait sauver notre âme, si moi un jour j’étais atteinte de la maladie d’Alzheimer, qu’est-ce qui pourrait un peu me sauver ? Et finalement, c’est peut-être de ne plus savoir qu’on va mourir… Peut-être que les personnes atteintes de cette maladie savent encore qu’elles vont mourir mais je ne l’espère pas, comme ça elles n’ont plus peur de la mort. C’est très difficile à tenir, moi-même j’ai partagé la vie d’une personne qui a accueilli chez elle sa maman parce qu’elle n’avait pas les moyens de la placer en maison de retraite et cette maman qui était atteinte de la maladie d’Alzheimer n’était même plus en mesure de reconnaître son enfant. Parler avec de la légèreté de cette maladie est très délicat, je sais qu’il y a certaines personnes qui sont choquées mais aussi d’autres qui accueillent cette chanson avec beaucoup de bienveillance. Ça leur donne un petit peu d’espoir.

Avec des bouts de phrases, je tisse une toile, une trame et j’en fais une chanson !

Ce qui ressort de ce disque, c’est votre aisance à manier les mots, à poser des images sur un texte. Où puisez-vous cette inspiration et est-ce que le processus d’écriture est quelque chose qui prend du temps dans votre cas ?

J’écris très difficilement des chansons, c’est un processus difficile mais je pense que c’est comme une gymnastique de l’esprit, il faut régulièrement noter des idées ou des phrases. Parfois des amis me donnent des idées et j’écris tout ça dans mon petit carnet. Avec des bouts de phrases, je tisse une toile, une trame et j’en fais une chanson mais ça prend du temps !

Sur ce disque, vous avez notamment travaillé avec William Rousseau, Edith Fambuena et Vincent Baguian. Comment se sont effectuées ces rencontres ?

J’ai rencontré Edith Fambuena grâce à Zazie qui me l’a présenté. Avec William Rousseau, nous avons travaillé ensemble sur quelques scènes de Mozart L’Opéra Rock. Je lui ai un jour montré les maquettes et il a effectué la réalisation de la majorité des titres de l’album mais aussi la composition de « A quoi ça sert » et « Je suis bonne ». Enfin, j’ai rencontré Vincent Baguian dans le conte musical Sol en Cirque car il était l’ami de Baptiste Vignol, un grand monsieur de la chanson qui m’a proposé de le rencontrer, persuadé que j’allais aimer ses chansons et ses textes !

Est-ce important pour vous de vous entourer d’autres artistes et d’avoir des regards extérieurs ?

Oui c’est important car je les estime beaucoup. Ils ont une vraie écoute, un vrai regard sur la chanson donc c’est important de savoir ce qu’ils en pensent et en même temps, il faut quand même tracer sa route pour se définir soi et ne pas suivre tous les avis.

Vous montez régulièrement sur scène, cet album est taillé pour rencontrer le public car il a quelque chose de presque cinématographique. Est-ce que les chansons prennent de l’ampleur, ont une autre résonance sur scène ?

Je n’arrive pas trop à savoir mais ce qui est certain, c’est que nous sommes en duo guitare-voix sur scène donc les chansons sont très dépouillées. Cela dit, j’ai un instrument, un mini-pad qui me permet de déclencher une batterie mais aussi une basse. Je joue avec ça et c’est comme si je faisais entrer Joé le batteur, André à la basse… Je pilote la machine ! Mais du coup, j’ai l’impression que les textes des chansons ressortent davantage et de nombreuses personnes qui ne connaissent pas les chansons découvrent d’abord le texte puis vont ensuite acheter l’album. La scène et la rencontre avec le public sont vraiment ce que je préfère.

Parallèlement à vos projets solo, souhaiteriez-vous écrire pour d’autres artistes ?

Alors j’aimerais bien oui mais pour le moment je manque de temps ! Viendra un jour où j’écrirai pour d’autres artistes.

Écoutez Sans le Superflu, le premier album de Marjolaine Piémont :