Tryo en interview : « Finkielkraut s’attaque à une société multiculturelle qui existe déjà »

Le groupe Tryo est de retour cet automne avec un sixième album très politique, incisif même, intitulé Vent debout. Il en définit les grandes lignes pour aficia !

Quatre ans après Ladilafé, Tryo revient sous un jour nouveau avec Vent debout, un sixième opus qui s’attaque sans compromis à nos dirigeants et aux penseurs qui véhiculent, d’après lui, un discours pessimiste éloigné des réalités. Le groupe s’en explique dans une interview à charge, évoquant le quinquennat de François Hollande, Michel Onfray ou encore le sort réservé aux réfugiés. Sans oublier la Coupe du Monde de football 2022 qui aura lieu au Qatar !

L’album commence fort avec le titre « Souffler ». Pourquoi avoir voulu adresser une pique au Parti Socialiste et à François Hollande ?

Ce morceau, c’est effectivement une rétrospective des cinq années qui viennent de s’écouler. Je trouve qu’en ce moment on est dans une période où les valeurs de Gauche ne sont absolument plus dominantes dans la société. Et plus encore, elles ne sont plus représentées. Ni par François Hollande, ni par le gouvernement de son Premier ministre… Et nous, on se dit que ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas représentées, que ces valeurs-là doivent disparaître. Je pense qu’il y a énormément de personnes, dont on fait partie, qui restent attachées à ces valeurs et qui cherchent à se réapproprier la parole comme nous le faisons. On l’a vu avec les différents mouvements sociaux, ou même avec Nuit debout. C’est une manière pour ceux-là de se sentir moins seuls. Je pense qu’il y a beaucoup de gens de Gauche qui se sentent très seuls aujourd’hui.

Vous évoquez une autre France, la confiance, l’espérance, la mauvaise foi aussi. N’est-ce pas finalement toute la classe politique qui est épinglée ?

Oui, d’une certaine manière, même si ce titre-là est quand même plutôt axé sur la Gauche et le quinquennat de François Hollande… (Sourire) Avec Tryo, on est ravi lorsque les valeurs que nous chantons sont portées par un homme politique, de n’importe quel bord. Je ne dirais pas qu’ils sont « Tous pourris » comme beaucoup de Français le pensent aujourd’hui. Je ne veux pas m’inscrire sur ce créneau-là. Je pense qu’il y a aujourd’hui des personnalités de la société civile qui peuvent apporter leur pierre à l’édifice, comme Nicolas Hulot. Je pense aussi au renouvellement de la classe politique. Clinton en est un exemple… Elle s’accroche au pouvoir depuis près de 40 ans. C’est un peu la même chose que François Hollande, Ségolène Royal… C’est important de faire de la place pour de nouvelles têtes et à de nouvelles idées.

« Le discours des Zemmour fait peur dans une époque où il faut au contraire se rassembler »

Dans le titre suivant, « Chanter », vous dites que « chanter est libre de droit », vous évoquez des tabous, « les fous de Dieu » et des « coups de crayon ». Ça m’amène à vous demander comment vous avez vécu les événements du 13 novembre, l’attentat contre Charlie Hebdo et plus récemment celui de Nice ?

Comme beaucoup de monde, on l’a vécu comme un drame. Il se trouve qu’on était en train de travailler avec plusieurs personnes proches de Charlie Hebdo à ce moment-là. Ce chagrin qui a touché beaucoup de personnes, nous y compris, on en fait des chansons. Après, la véritable question que l’on pose dans le morceau « On vous rassure », c’est que la peur nous affectant et qui fait partie désormais de notre quotidien nous déshumanise. Il ne faut pas que cette peur-là nous fasse oublier la liberté d’expression, la liberté de circuler et la liberté d’agir. Là, je pense à l’état d’urgence. Cette peur-là ne doit pas nous faire voter pour n’importe qui, nous pousser à aller vers des solutions que l’on pourrait regretter plus tard. Hélas, on tend vers ça… Les extrêmes surfent là-dessus. C’est ce discours ultra-droitier qui aujourd’hui est dominant. Le discours des Zemmour fait peur dans une époque où il faut au contraire se rassembler.

Ne fais-tu pas référence à la possibilité d’une issue électorale aussi spectaculaire en France qu’aux États-Unis ?

C’est sûr ! On vit une période de changements. Et en même temps, il y a cette impression que le changement n’arrive pas… Ou par les extrêmes. Les États-Unis en sont le miroir. On vit une période de crise économique, de crise identitaire et même écologique. Alors, oui, dans ce contexte-là, nous pourrions avoir droit à une élection complètement inattendue et très dangereuse pour la France. Nous, notre rôle, c’est d’essayer de décrypter ça avec des chansons. Ce n’est pas pour rien qu’on a appelé l’album Vent debout ! On a l’impression de se prendre le vent de face tout en essayant d’avancer dans une direction.

Tryo - © Yann Orhan
Tryo – © Yann Orhan

Tout cela me fait aussi penser au titre « Rassurer Finkielkraut ». Comment expliquez-vous qu’on en soit arrivé là, à relayer une pensée dramatique comme la sienne ?

Il faut savoir que Finkielkraut, on lui tend le micro. Dès qu’il a quelque chose à dire, on appelle une rédaction et on l’écoute à bras grands ouverts. C’est un bon client. (Sourire) Ce n’est pas le seul. Je pense à Eric Zemmour ou à Michel Onfray. J’ai énormément lu Michel Onfray. Aujourd’hui, il crée sa propre chaîne YouTube pour ne plus avoir de contradicteurs et pour pouvoir imposer ses idées. Avec eux, on est face à une société pessimiste, à une vision de la France déprimante et archaïque. Finkielkraut s’attaque à une société multiculturelle qui existe déjà en réalité. Ces gens-là, on a envie de leur prendre la main et de les rassurer, de leur dire qu’on partage beaucoup de points communs comme l’amour de la France et de la langue française. Mais lorsque j’écoute la vision passéiste de la France de Finkielkraut, je n’ai pas l’impression d’habiter dans le même pays que lui.

Écoutez le titre « Rassurer Finkielkraut » de Tryo :

Comment percevez-vous justement la France d’aujourd’hui ?

Nous, on prône une société ouverte à la jeunesse, aux réfugiés… Dans notre album, il y a une chanson qui s’appelle « Le petit Prince ». L’idée de ce morceau, c’est de présenter la perception qu’a un enfant lorsqu’il découvre la Terre. Comment peut-on expliquer l’inexplicable ? Comment peut-on tolérer l’intolérable ? Comment peut-on expliquer à un enfant que des gens, aujourd’hui, traversent la moitié du globe parce qu’ils fuient la guerre et non pas pour venir profiter des allocations françaises comme on essaie de nous le dire ? Comment lui expliquer qu’en France on se permet d’avoir un discours affirmant qu’on ne peut pas les accueillir, qu’ils doivent rester chez eux, alors qu’ils peuvent mourir dans leur pays ? Aujourd’hui, on s’est malheureusement habitué à cette pensée-là.

« On cherche simplement à aider les gens à se retrouver »

Dans ce nouvel album, vous évoquez également la vie dans les cités, la pollution des océans, les migrants, la société de consommation… C’est quand même assez déprimant tout ça. Que conseillez-vous contre la morosité du quotidien ?

On a toujours porté des messages assez forts avec des mots très durs. On a toujours abordé des thèmes difficiles, voire déprimants comme tu le dis. Mais on l’a toujours fait avec joie, en gardant un esprit optimiste. C’est vraiment l’ADN du groupe. On traite de sujets graves avec légèreté. Vent debout, je trouve que c’est un album très enjoué et très joyeux. Après, s’il fallait donner des conseils… Nous ne sommes pas là pour ça. Nous ne sommes pas des politiques au sens premier du terme. Nous, on cherche simplement à aider les gens à se retrouver, à ne plus avoir peur et à ouvrir leur cœur.

Il y a justement le titre « Qatar 2022 », où le ton est plus grave. Qu’est-ce qui vous révolte le plus, de voir des gens mourir pendant que des gens s’engraissent ou le fait qu’aucun dirigeant politique ou qu’aucun organisme international ne tape du point sur la table ?

Les deux mon capitaine ! (Rire) Ce titre évoque en effet l’organisation de la Coupe du Monde de football et la manière dont le Qatar a été désigné pour 2022. Ce qui est terrible, c’est que tout se sait. C’est-à-dire qu’on sait très bien que le Qatar a acheté la Coupe du Monde. On connaît même les montants. On le dit partout ! On dit aussi qu’il a acheté Yann Arthus-Bertrand, Nicolas Sarkozy et même l’hiver. Parce qu’on sait très bien que la compétition aura lieu en hiver. Et pourtant, personne ne fait rien. En même temps, on lève le voile sur un esclavagisme total, parce qu’il y a des gens qui meurent tous les jours pour l’organisation de cet événement. C’est un scandale qui est porté par des personnalités très influentes, comme Zidane. Je pense quand même que d’ici 2022 il y aura un soubresaut par rapport à tout ça. Du moins je l’espère ! (Sourire)

Le tableau n’est pas tout noir non plus. Vous n’êtes pas les seuls à dénoncer les conditions dans lesquelles sont construites les infrastructures pour le Mondial 2022.

Oui, il y a Amnesty International notamment. Ils ont organisé une vaste campagne et ils vont continuer. Tu sais, je ne suis pas contre le foot. C’est vrai, le foot génère beaucoup d’argent et c’est quelque chose de très énervant pour beaucoup. Mais là, on dépasse réellement les bornes.

Écoutez le titre « Qatar 2022 » de Tryo :

Vous ne vous dites jamais que c’est peine perdue, et en particulier sur sujet-là, que nous serons probablement aussi nombreux à suivre cette Coupe du Monde que les précédentes ?

Non. C’est un peu ce qu’on a voulu dire aussi avec le titre « Watson », ce capitaine qui a créé Sea Sheperd. Aujourd’hui, bien-sûr que les océans ne sont pas totalement propres, mais il représente quelque chose, une idée, une idéologie. Quand il a quitté Greenpeace pour créer Sea Sheperd, il était tout seul. Aujourd’hui, il est toujours tout seul face à des entreprises ou à des institutions à l’influence mondiale. Mais à force de persévérance, il arrive à obtenir des résultats. C’est une question de courage et de constance.

Pourriez-vous faire de la musique sans être autant engagé ?

Oui ! (Sourire) Très franchement ! La musique, ce sont avant tout des sentiments. On pourrait très bien écrire des chansons pour les enfants, sans être forcément dans la politique ou la contestation. On peut très bien chanter des chansons d’amour aussi. Moi, j’ai écrit pour d’autres artistes comme Olivia Ruiz. Je n’étais pas du tout dans l’engagement à ce moment-là. Tryo, ce sont effectivement des morceaux coup-de-poing, mais aussi des morceaux plus légers comme « Serre-moi » ou « Adulescent ». Là, en l’occurrence, on a ressenti le besoin de faire un album politique.

Justement, tu évoques ce titre « Adulescent » qui renvoie d’une certaine manière à votre parcours et à vos ambitions. Comment voyez-vous l’avenir ?

C’est une question qu’on nous pose beaucoup en ce moment ! (Rire) Je sais qu’il y a peu de groupes qui restent unis au bout de 20 ans. Même les Têtes Raides, ce ne sont plus vraiment les mêmes. Même Téléphone… Ce n’est pas vraiment Téléphone ! (Sourire) On est quatre sur scène, cinq dans la vie. On s’aime, on partage des valeurs. Nous sommes des amis. Et pourtant, nos vies sont extrêmement différentes. Pour nous, ça se passe super bien, donc on vise tout simplement les 30 ans. Nous prenons souvent de longues pauses. Nous avons besoin de prendre du temps entre chaque album. Quand on fait un album, on se met complètement dedans. On se donne totalement. Et puis, on part sur un an et demi à deux ans de tournée. Et après on se sépare totalement. Pas comme Fréro Delavega ! (Sourire) On fait chacun d’autres choses à côté et on écrit des chansons. Et quand l’envie est là, on s’appelle et on voit si c’est le moment ou pas de se retrouver. C’est une chance de pouvoir fonctionner comme ça. Et c’est ce qui fait que ça va encore durer longtemps je pense.

Tryo - DR
Tryo – DR