Fishbach en interview ‘Sans filtre’ : “J’aimerais bien devenir une vieille chanteuse cool”

Son second album Avec les yeux est sorti en février dernier. Fishbach s’est confiée à aficia sur la création de ce disque, sur l’industrie musicale et sur ses multiples inspirations. Voici son interview ‘Sans filtre’.

Découverte en 2017 grâce au single “Un autre que moi” Fishbach a sorti il y plusieurs mois son second opus. Voix grave, textes insaisissables et mélodies résolument rock, Fishbach nous offre des chansons puissantes, précises et mystérieuses. Un disque qu’elle a pris le temps de composer loin de Paris de manière artisanale et sans pression. Elle a répondu à nos questions « sans filtre”.

Fishbach, l’interview ‘Sans filtre’

Cinq années séparent les albums A ta merci et Avec les yeux, comme se sont déroulées ces années-là ?

Déjà j’ai tourné, en France et à l’étranger ce qui a duré deux ans. J’ai été comédienne dans une série pour Canal +, ce qui m’a permise de ne pas avoir le spleen post tournée, d’enchainer sur autre chose et aussi d’apprendre un nouveau métier. Je suis DJ aussi et j’adore faire ça. J’organise même des soirées maintenant, j’appelle ça « La bamboche à Fishbach”. Ça me plait beaucoup de casser le fameux quatrième mur. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans un personnage trop froid comme ma musique peut l’être et trop androgyne. Aussi, pendant ces cinq ans, j’ai pris soin de ma vie de femme et de vivre une histoire d’amour.

C’est compliqué de vivre une histoire d’amour quand on est artiste ?

Je pense pas, certains y arrivent bien et ont des enfants, ils ont trouvé un équilibre. Moi c’était plus difficile parce que la musique c’est ma priorité. Et en même temps, l’amour ça porte et ça fait faire des chansons.

Et oui, j’ai pris soin de ma vie de femme et j’ai repensé un peu ma musique. Entre la petite Flora qui faisait des chansons dans sa chambre et Fishbach artiste, je me suis dit “pourquoi pas s’amuser encore plus ?”. Moi qui me cachais beaucoup, je ne voulais pas jouer à la jolie fille quand j’avais 25 ans.

L’industrie du disque, c’est de pire en pire, les codes ont énormément changé

Fiashbach pour aficia.

Justement, on te découvre plus assumée et plus féminine sur ce nouveau projet musical.

Il y a le mot « masculin » et il y a le mot « viril », qui sont deux choses totalement différentes. Moi, je suis à la fois féminine et virile. La virilité c’est dans notre époque le courage et la force, ce que je suis. Il est temps d’embrasser son âge aussi et je ne veux plus m’interdire de mettre des talons et des robes. Je suis fascinée par les femmes des années 40 par exemple et les femmes dandys du 19ème siècle comme Mylène Farmer l’avait exploré. Pour nous, ce sont des standards de beauté ces femmes des années 40, mais à l’époque c’était transgressif de fumer, de porter des pantalons et d’assumer son corps. J’avais envie d’explorer autre chose et de ne pas m’enfermer dans une case. 

Mylène Farmer, qu’est-ce qui te plait chez elle ?

Toute la direction artistique avec Laurent Boutonnat j’adore. Elles est devenue une icone gay. Elle est intelligente, elle embrasse son âge, elle ne chante plus « Libertine ». Il y avait ce côté très sexy et très androgyne. Aussi, je suis fascinée par le côté gothique comme elle.

Le premier album a mis tout le monde d’accord, médias et public confondus. Ça met la pression quand on réalise son second album ?

Evidemment. Tout le monde me disait que j’étais très attendue à la fois mon public, ma maison de disques et mon entourage proche. Et oui, je sentais qu’il y avait un enjeu. Mais par contre, j’ai fait comme pour le premier album, ma musique de matière très amateur, dans ma piaule. 

Tu as quitté Paris pour les Ardennes. Tu es partie là-bas pour concevoir ce second album ?

Je voulais m’occuper de ma vie perso, j’aime beaucoup ma vie d’artiste, je suis extrêmement chanceuse de faire ce métier, mais je ne suis pas prête à faire certaines concessions comme certaines de mes copines chanteuses. On ne perçoit parfois que les paillettes, mais ce métier peut aussi faire souffrir. Il y a parfois des enjeux qui sont délirants. On dit que c’est un monde de requins et c’est le cas. Moi je ne m’entoure que de gentils. Je préfère retourner à un job de serveuse s’il le faut, plutôt que de faire des compromis. 

Où est-ce que tu as décidé de te ressourcer ?

Je vis à la campagne dans les Ardennes, où je viens de m’acheter une petite maison dans un village que j’aimais beaucoup enfant. Je me suis rapprochée de ma mère aussi. C’est un endroit tranquille où personne ne vient. Paris c’est formidable pour le métier de vedette mais pour le métier de musicien c’est un enfer. A Paris, j’avais des petits appartements très mal isolés pour des loyers exorbitants. Mon voisin bougeait les meubles chaque nuit, je n’osais même plus chanter. 

Je ne sais pas où ma route me mènera, si ça se trouve, un jour je ferais de l’auto-prod ou je monterais ma boite.

Fishbach pour aficia/

Tu évoquais la difficulté de parfois exercer ce métier, l’envers du décor. Quel regard portes-tu sur l’Industrie du disque ?

C’est de pire en pire. Les codes ont énormément changé, on est beaucoup dans l’auto-promotion. On est devenues des influenceuses. On montre plus que l’on ne fait. Le monde de la musique c’est similaire au monde en général, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres sont de plus en plus pauvres . Je me demande comment un gosse qui veut faire du rock peut faire de la musique aujourd’hui s’il ne veut pas faire du rap. A part s’il est marrant sur TikTok peut-être ? La durée de vie d’un morceau est aujourd’hui de un ou deux mois, pour le rap par exemple. Alors que toi et moi on écoute plusieurs artistes sur une même journée. Forcément, ça gonfle les chiffres du streaming.

Tu es signée chez quelle maison de disques actuellement ?

Pour l’instant je suis chez Sony Music qui me suivent encore, donc c’est merveilleux. Je m’entends trop bien avec eux. Ils me soutiennent alors que je suis une petite artiste., Ils veulent encore avoir des groupes « chelous » et c’est cool. Mais je ne sais pas où ma route me mènera, si ça se trouve, un jour je ferais de l’auto-prod ou je monterais ma boite.

Tu pourrais accompagner des artistes, ça te plairait ?

En tout cas évoluer vers autre choses c’est envisageable si le métier de chanteuse m’emmerde un jour. Fishbach ça sera peut être pas toute ma vie .J’aimerais bien faire de la musique de film, je fais des soirées aussi comme je te l’ai évoqué. Y’a plein de choses qui sont possibles. Et le cinéma aussi même si c’est un métier difficile, il y a beaucoup d’attente. Je ne ferme la porte à rien.

Tes textes sont parfois abstraits. Il y a parfois un double sens. Tu as envie qu’on se raconte nos propres histoires ?

Ce n’est pas tout le temps moi qui écrit. Je suis très sensible à ça, je suis très sensible à Farmer et à Christophe par exemple pour le côté non intelligible. J’adore ça, car j’ai parfois des sortes d’hallucinations auditives. Ton cerveau veut forcément trouver un sens. J’aime aussi pour ça les paroles de Bashung, tu y projettes tes propres images. C’est quand même bizarre ce métier, tous les soirs, tu chantes la même histoire. « Une autre que moi » je la sentais toujours par exemple. On me la réclamera toujours.

Crédits : Jules Faure

La chanson « Une autre que moi » que tu évoques, tu ne la raconteras peut-être plus de la même manière ? 

Je ne la vis plus de la même manière que quand je l’ai écrite. Le fait d’avoir posé une double lecture ça peut m’évoquer autre chose et laisser libre court à mon imagination. Parfois, les gens me demandent le sens de mes chansons, mais j’aime leur demander ce que eux, ça leur évoque.

Il y a des chansons que tu n’as plus envie de chanter ?

J’ai eu ça, mais ça faisait partie de mon refus de succès et de ma peur de l’intérêt que l’on me portait. J’étais une femme très solitaire, aujourd’hui c’est moins la cas. Aujourd’hui j’éprouve une énorme gratitude. Je me rends compte que tout est précieux, tout est fragile. 

Pour revenir aux références des années 80, tu appelles Balavoine « mon chouchou d’amour ». C’est une référence importante pour toi ?

On a beaucoup parlé des Rita Mitsouko et de Balavoine. C’est drôle parce que il y en a un dont on ne parle pas assez, c’est Polnareff. Ses mélodies, sa voix, la provocation à son époque. Mais putain la discographie de ce chanteur c’est fou. J’ai repris « Love me, please love me » à la télévision, j’ai accepté pour le challenge parce qu’elle est extrêmement dure à chanter et il y avait Jonasz et Birkin sur le plateau d’ailleurs. On s’est très bien entendu avec Michel Jonasz, je lui ai offert mon vinyle. C’est un grand monsieur, il a été très encourageant.

La générosité et la bienveillance entre artistes, elle existe ?

Bien sûr. Et surtout entre les générations. Alain Souchon tiens, je lui filé mon vinyle et il m’a envoyé une lettre manuscrite pour me dire qu’il l’avait adoré. Ça m’a bouleversée. Il est d’une gentillesse. Je lui ai d’ailleurs appris à ouvrir une bouteille de vin car j’étais serveuse avant.

L’aspect visuel est très travaillé chez toi, c’est très sophistiqué. Qui t’accompagne ?

Je travaille avec un garçon qui s’appelle Aymeric Bergada Du Cadet qui est réalisateur de clip, styliste, DA image aussi. Je l’avais rencontré sur le clip de La Femme et j’avais un coup de coeur pour ce garçon qui nous habillait. On est devenus très amis et puis par hasard on s’est revus il y a quelques années. On s’est tombés dans les bras et je lui ai expliqué que je cherchais un nouveau directeur image pour mon prochain disque. Je lui ai dit que j’avais envie d’explorer ma féminité autrement. Il était la bonne personne pour ça. 

Pour conclure, je peux te souhaiter quoi pour la suite ?

De devenir une veille chanteuse cool et de rester toujours droite dans mes baskets.