Zaho en interview : « J’aime l’idée de faire confiance à la vie et la laisser m’emporter »

Zaho vient de publier son troisième album, Le monde à l’envers, lequel s’éloigne des sonorités habituelles et met en avant un message clair distillé dans une pop-électro et R&B dans l’air du temps. Elle nous en parle en détail.

Zaho revient sur le devant de la scène et en solo, cinq ans après la sortie de son disque Contagieuse. Entre temps, l’artiste a multiplié les projets et les collaborations. Celle qui a incarné la Fée Morgane dans la comédie musicale « La légende du Roi Arthur » et qui a posé sa voix sur la compil’ hommage à Daniel Balavoine (« Sauver l’amour »), a également participé à l’écriture de trois chansons pour l’album Encore un soir de Céline Dion (2016). L’année dernière, elle publiait « Laissez-les kouma » et « Tant des choses », deux titres relativement différents et annonçant la venue de ce Monde à l’envers plus éclectique que jamais.

Depuis la sortie des singles « Laissez-les kouma » et « Tant de choses », tu as fait une apparition sur le nouvel album de Black M, Éternel insatisfait, avec un morceau qui figure également sur ton disque. Que peux-tu nous dire à propos de cette collaboration ? 

Ça s’est fait il y a assez longtemps. Il y a un an pour être plus précis. On a toujours voulu faire quelque chose ensemble. On avait déjà tenté de travailler sur un morceau pour son premier album Les yeux plus gros que le monde, mais on n’avait pas trouvé le temps. On a surtout échoué parce que je n’étais pas sur le même continent que lui. (Sourire) J’étais au Canada et lui en France. On ne voulait pas faire ce featuring à distance. On voulait absolument se voir et créer. Donc là, on s’est enfermé tous les deux en studio. Il m’a appelée. J’y suis allée en partant vraiment de zéro. On a commencé par plaquer des accords au piano. On a tout fait presque le jour-même. On est resté quasiment 24 heures en studio, jusque tard dans la nuit, pour pouvoir terminer d’enregistrer toutes nos voix.

Vouloir tout boucler en une seule journée, c’était un choix où une contrainte due à vos agendas respectifs ?

Je suis quelqu’un qui n’aime pas les contraintes. Je m’en affranchis. Quand on n’a pas le choix, on fait avec. Mais en règle générale, quand c’est pour l’artistique, il ne faut pas se forcer. On a quasiment terminé le jour-même parce qu’on était excité, la vibe était là. On était tous les deux dans les bonnes conditions et je me sentais l’énergie de rester.

« Je me suis toujours assumée »

Les contraintes, on est amené à en parler plus ou moins indirectement après avoir écouté ce nouvel album. Dans « Brouiller les ondes » tu estimes que tu ne peux pas plaire à tout le monde et, dans « J’ai pas le time », tu dis « On dit que je ne ne suis pas normale ». Le monde à l’envers, ce n’est pas vraiment l’album d’une femme apaisée…

C’est l’album d’une femme qui s’assume. Le monde à l’envers, c’est une femme qui est aussi paradoxale, une femme qui a envie d’exister même à contre-courant, et même si elle ne rentre pas dans toutes les cases. Je me suis toujours assumée mais plus j’avance dans la vie et plus je confirme qui je suis. Plus je me moque aussi de ce qu’on peut dire sur moi et autour de moi. Et je me sens mieux dans ce que je défends comme valeurs et comme discours. Le monde à l’envers, c’est aussi avoir réussi à mettre des mots sur ce que je pense dans mon fort intérieur. J’exprime ce que je pense à haute voix.

Est-ce que ça a parfois été compliqué de trouver les mots justes pour exprimer ces sentiments, sans se freiner ou avoir peur de choquer ?

Non, parce que je me sentais prête à dire toutes ces choses-là. Ce qui peut être compliqué, c’est de penser mais de ne pas savoir l’exprimer, ne pas savoir finalement si on a ou pas besoin de le dire. Donc ça reste en nous. Là, j’avais envie de dire les choses, pour que les gens les entendent. Tant que je trouve du plaisir à faire de la musique, que je suis cohérente avec moi-même et que je le vis bien, alors le reste suit.

Pour le coup, on ne pourra pas reprocher à cet album un manque de cohérence. On sent que véritablement tout est lié dans le propos.

Qu’on aime ou pas, car les goûts et les couleurs ne se discutent pas, je pense que si on prend vraiment le temps d’écouter cet album, il y aura une phrase, un mot ou une chanson qui va interpeller. Parce que je pense qu’on est tous pareil et que je ne suis pas différente des autres.

« Avant de parler de son rapport avec les autres, il faut commencer par réfléchir sur son rapport à soi »

Pour autant, peut-on vraiment être toujours intègre et rester celui ou celle qu’on est vraiment ? Les deux n’entrent-ils pas en concurrence parfois ?

J’imagine que tu fais référence au titre « Je fais semblant ». Je tiens à préciser que je ne parle pas d’hypocrisie. Je dis plutôt qu’il n’est pas toujours possible de montrer tout de soi. Par peur, par pudeur ou justement par souci d’intégration, de ne pas déranger. Être hypocrite, c’est porter un autre masque. Moi, je parle d’enlever son propre masque, de fendre l’armure ou d’enlever les barricades qu’on peut poster devant soi. Je pense effectivement qu’on ne peut pas tout le temps enlever son masque. Mais d’un autre côté, c’est bien de temps en temps aussi de les enlever pour se retrouver.

Le monde à l’envers n’est-il pas aussi l’album d’une femme qui a été beaucoup touchée, comme on peut l’entendre à travers le titre « Je rentre à la maison » dans lequel il est question de l’importance de nos racines ?

Si on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où l’on va. Alors on ne sait pas comment se positionner, ni qui sont nos amis, nos proches, ceux dont on doit s’entourer. Je ne dis pas que je rentre chez moi, au Canada ou en Algérie ; mais là où je me sens chez moi, à toutes les saisons. La maison peut être n’importe où. Ça peut être ma famille de cœur, des amis… En vérité, c’est là où on se sent aimé, tout simplement. C’est la chanson touchante d’une femme et pas celle d’une femme blessée. Je parle de ma réalité, de mon métier, de ce que je ressens quand je suis en tournée. Je voyage énormément et je fais plein de rencontres. On ne sait pas si on nous aime pour ce que nous sommes ou pour ce que l’on représente. On ne sait pas si on aime notre célébrité, si les gens sont bien intentionnés à notre égard… Autrement dit, je parle de la bienveillance des gens qui sont à nos côtés, de ceux avec qui on peut enlever le masque pour revenir à ce que l’on disait juste avant.

Avant la sortie de l’album, tu as dévoilé le titre « Selfie ». J’en déduis qu’il a une importance particulière pour toi. Qu’est-ce qu’il traduit de notre société et de notre rapport au sentiment amoureux ?

On n’a jamais été aussi connecté et, en même temps, on n’a jamais été autant dans le contrôle, à travers les filtres. On soigne beaucoup son image. On n’est beaucoup moins dans le moment présent, mais davantage dans le moment qu’on veut bien partager avec qui veut bien le voir. C’est la réalité d’aujourd’hui, ce n’est pas un constat triste, ni une critique de la société. « Selfie », c’est un auto-portrait de notre époque. C’est même un ego-portrait parce qu’on va embellir les choses. On ne poste jamais une photo où on est à son désavantage. Du moins rarement. C’est aussi un moyen de communiquer et de rester en contact avec les autres. C’est toute l’histoire de cet album. Avant de parler de son rapport avec les autres, il faut commencer par réfléchir sur son rapport à soi.

Peut-on alors en déduire que Le monde à l’envers est une quête de vérité ou une introspection à cœur ouvert ?

Oui. C’est le constat d’une société dont je fais partie et dans laquelle j’essaie de trouver ma place. Je peins le tableau de tout ce qui m’entoure.

« Je parle plutôt de mélancolie heureuse désormais »

On retrouve également des chansons d’amour sur ce nouveau disque, même si les sentiments y sont abordés différemment. Peut-on dire que les tourments sont malgré tout inhérents à l’univers de Zaho ?

Je parle toujours d’amour dans mes chansons. Que ce soit de l’amour de quelque chose, de l’amour de soi, de l’amour propre… Je l’ai toujours revendiqué comme un thème global, voyant l’amour de toutes les couleurs en partant de la colère et de la haine jusqu’à l’indifférence. Il y a effectivement aussi l’amour de couple, charnel, comme mes chansons « Je te promets » et « Tourner la page ». J’aime bien l’aborder parce qu’on ne peut pas exister sans rapport à l’autre. Ça me tenait à cœur d’en faire, parce que j’ai un côté romantique qui était mélancolique et qui l’est un peu moins. Je parle plutôt de mélancolie heureuse désormais.

Tu cites à plusieurs reprises l’expression « Le monde à l’envers » dans tes nouvelles chansons. Pourrait-on élargir sa portée et lui donner un sens plus politique, économique ou sociétal ?

Oui. Qu’est-ce que c’est finalement « Le monde à l’envers » ? C’est ce qui surprend, c’est qui ce qui ne rentre pas dans la logique humaine. C’est ce qui ne devrait pas être comme ça. Et puis, on l’oublie, mais c’est aussi une expression commune et familière. On me l’a déjà dit, en parlant de mes racines algériennes et de ma double nationalité canado-algérienne, alors que mon public est en France, que j’écris des ballades, des titres pour Céline Dion et que j’enregistre en même temps un feat. avec MHD… Mais c’est le monde à l’envers ! (Rire) Moi, j’ai envie de dire « Mais pourquoi pas ! ». Tout est question de perception. Tout est relatif.

J’imagine que toutes ces collaborations te poussent à voyager.

Oui, je voyage beaucoup de manière générale. J’aime bien aller en Amérique du Nord ou en Amérique Latine. J’aime bien faire un road trip de temps en temps, me perdre avec une carte et faire des découvertes paradisiaques. J’aime l’idée de faire confiance à la vie et la laisser m’emporter.

Le voyage est-il aussi une manière pour toi de trouver de nouvelles sources d’inspiration ?

Ça me nourrit, ça me fait grandir. Je ne le fais pas pour trouver de nouvelles inspirations, mais forcément ça joue plus ou moins parce que je fais sans cesse de nouvelles rencontres. Aussi parce que je me remets en question. J’apprends de l’autre et j’apprends à l’autre. C’est aussi ça Le monde à l’envers. C’est l’échange. Mon but dans la vie est de faire le plus de rencontres possible et de voir un maximum de choses.