Mauvais Ordre, le nouvel album de Lomepal
Mauvais Ordre, le nouvel album de Lomepal

Lomepal : ‘Mauvais Ordre’ l’album qu’on a aimé détester

Lomepal est de retour. Mauvais Ordre tel est le nom de son nouvel album. Quinze titres, 52 minutes d’acoustique sans featuring, du storytelling, de l’ambivalence. Après des heures d’écoute, de mouvements de tête et de valses nocturnes, aficia vous livre sa chronique.

Après Le Singe Fume sa Cigarette et Cette Foutue Perle en 2013, Seigneur en 2014, Majesté en 2015, Flip en 2017, Jeannine en 2018 et sa réédition Amina en 2019, Lomepal nous avait laissé sans nouvelle. Et pour cause, l’artiste était en pleine création d’un nouvel album : Mauvais Ordre.

Après un retour amorcé dans une suite de concerts d’été, ce huitième projet est enfin disponible à l’écoute (aux côtés d’une belle campagne de communication d’ailleurs).

Avec la sensation de revivre nos meilleures sessions d’écoute de Flip et d’Amina, nous nous sommes plongés dans ce nouvel opus des heures durant. Nous y avons retrouvé un Lomepal épanoui, une proposition artistique dense. Un storytelling singulier, un phrasé maligne dont seul le Pal possède les formules. Mais nous y avons aussi descellé des limites et des frontières, que nous avons pris plaisir à questionner.

Mauvais Ordre de Lomepal est un très bon album.
On vous explique pourquoi.

Sept, zéro, soixante-dix

Avant de plonger dans une quelconque analyse de fond, la forme de cet album est à noter. Compositions, arrangements, enregistrements, Mauvais Ordre se veut plus musical que jamais. Sans y être, l’oreille parvient aisément à deviner les ambiances studios du projet et c’est la première chose qui frappe l’auditeur. Sous une aura « sixty » décomplexée, Lomepal s’illustre avec passion entre l’expérimentation vocale et la justesse des beaux accords. C’est pop, c’est rock, c’est en mouvement et c’est assumé.

Un rendu organique libéré dont l’artiste a d’ailleurs révélé les coulisses lors de plusieurs réels Youtube et d’interviews, à travers lesquels Lomepal nous aide à comprendre le parcours d’enregistrement de Mauvais Ordre. On y retrouve des copains, de la musique, une envie libérée de faire du beau avec du bon, de retourner aux essences de la création musicale.



Ainsi, avant même de se concentrer sur le contenu, il est difficile d’attribuer à Mauvais Ordre une classification unique. C’est sa première marque d’identité nette, ce projet est à la fois chants, rap, et mélodies. Une démarche que nous avions effleurée avec Jeannine, ici poussée à ses pleines envies à travers Mauvais Ordre.

Storytelling, des textes plus profonds que d’apparat

Pour autant, il serait malhonnête ou a minima fainéant de considérer ces quinze titres comme de belles chansons, ou du moins, uniquement comme cela. Car ce serait mal connaître Antoine Valentinelli que de n’attendre d’un de ses albums qu’unique beauté sonore. Amateur de textes torturés, l’artiste n’a pas dérogé à sa thématique phare. Parce que le miel n’est rien sans le vinaigre, Mauvais Ordre nous emmène à la rencontre d’un personnage bien atypique, d’une histoire d’amour et de toutes ses péripéties.


Toujours bloqué dans la mauvaise zone,
C’est ma faute, j’ai mis les bons mots dans le mauvais ordre.
J’ai encore tout emmêlé, putain, ça avait tellement l’air simple dans ma tête.
Tu me trouves étrange et le piège se referme.
Ne me demande pas d’être comme toi, je sais pas le faire.

Mauvais Ordre, Lomepal

Sublimés par la musique précédemment évoquée, les textes nous emmènent auprès d’un homme candide, incapable d’interagir avec autrui sans porter de masque. Une âme égarée dont la seule identité est celle que lui attribue les autres ou celle qu’il s’amuse à incarner tant le conformisme lui paraît irréel “Etna”. Seulement voilà, cet homme va finir par se prendre à son propre rôle “Pour de faux”. S’engager dans une relation en ne sachant plus quel visage a conquis l’être aimé “Decrescendo”. “J’ai peur de devenir l’image que je renvoie. J’avais enfin trouvé l’ossature, et même le personnage. Un type qui souffre de se sentir isolé. Mais qui finalement ne se sent bien que seul, tant il panique au contact des autres”, explique Lomepal pour Télérama.

Le couplet d’ouverture du projet nous installe dans ce contexte, à nous ensuite de rassembler les titres, de reformer le puzzle, la temporalité de cette folle romance. D’ailleurs, si cet étonnant storytelling vous perturbe, l’artiste en raconte la colonne vertébrale dans l’interlude “Skit il”.

Mauvais Ordre, Lomepal, l’Étranger d’Albert Camus

Une narration efficace qui réussit par ses symboles à s’apprécier sur la longueur. Si Amina nous emmenait sous les folles couleurs d’un En attendant Bojangles, Mauvais Ordre remue les tripes et questionne des notions philosophiques à la manière de l’Étranger d’Albert Camus. Qui érige le « bizarre » ? Qui décide de la norme, ou comme dirait notre cher Valentin Le Du dans l’excellent “J’Pourrai ”, “J’pourrai faire semblant qu’c’est facile, mais je sors dehors, je rentre à l’asile”.

J’fais que suivre les signes,

En vrai, j’suis pas vraiment fou, nope, mais j’en parle qu’au psy; (oui)

On se découvre lentement, j’suis pas un dominant (nope)

Mais si jamais elle me le demandait, je pourrais faire comme si.

Prends ce que tu veux chez moi Lomepal

Ne tournons pas autour du pot, la narration est le deuxième atout phare du projet. Avec cette histoire, l’artiste garde le contact clair avec la minutie des mots et la franchise ingénieuse du rap. Dans Mauvais Ordre, l’artiste érige un pont surprenant entre deux univers que beaucoup s’acharnent à opposer.

Mauvais Ordre de Lomepal va diviser… et heureusement !

Vous ne jurez que par Flip ou Majesté ? Passez votre route, Mauvais Ordre n’est pas pour vous. Aucune insulte en cela, il est évident de dire que ce nouvel album a décontenancé plus d’un fan.



Mais on se rêve a penser que le pari était justement là, dans cette ambivalence. Mauvais Ordre ne se place dans aucune case, le projet assume la pop de son “Crystal” et célèbre le rap avec “50°”. Abordez l’expérience uniquement comme du rap, vous serez déçu, attendez en quelque chose de diamétralement opposé, vous n’arriverez pas non plus à vous y plaire.

Et si cet album s’offrait pleinement à celles et ceux qui acceptent ses conditions ? La direction artistique semble clairement nous mener à cette tendance. Au diable carcans et clivages, apprécions la musique. Ce sera d’ailleurs peut-être notre seul regret, la richesse et les possibilités d’adaptations de Mauvais Ordre auraient pu offrir des featuring tous plus mémorables et variés les uns que les autres. Même si on l’imagine aisément, l’aspect narratif et intimiste aurait nettement compliqué cette ambition.

Et pour la suite ?

Avec cet album, Lomepal ne se réinvente pas. Mauvais Ordre achève de magnifier une ambition et prouve que celle-ci avait un sens. Mais on y apprécie d’entendre que l’artiste n’a pas tout dit, qu’il trouve dans la narration de nouvelles possibilités d’expression.

Alors lançons la pièce, imaginons la suite.
Mauvais Ordre vient de clôturer en beauté un rapport plus naturel à la musique, souhaité depuis Jeannine. Cet album signe la fin d’une trilogie curieuse, sur une note épanouie tant artistiquement que personnellement. Désormais, la place est libre pour parfaire d’autres registres. Dans cette logique, pourquoi ne pas conclure avec le même épanouissement la facette Majesté…?

Découvrez Mauvais Ordre, le nouvel album de Lomepal :

À lire aussi : Orages, la conclusion organique d’une sublime tempête.

Lucas Laberenne

Lomepal - Mauvais Ordre
Verdict

Pour Mauvais Ordre, la rédaction d’aficia abandonne l’objectivité. Un sacrilège effronté, d’autant plus que cet album possède de vraies raisons de diviser. Mais quand l’auteur de Flip vous propose d’assumer un contre-pied épanoui dans des compositions sixties merveilleuses, le tout, sous l’aura d’un storytelling poétiquement complexe, on ne peut que dire oui. Lomepal finalise avec brio une mue entamée depuis Jeannine. Celle du laisser-aller, de la composition brute, des envolées vocales et des potagers cultivés avec amour. En notre intuition, Mauvais Ordre marque la fin d’un cycle, mais nous l’espérons de tout cœur, le début d’un nouveau.

5