Brigitte en interview : « On a osé parler de nos douleurs et de notre manière de les gérer »

[dropcap]B[/dropcap]rigitte est de retour dans les bacs avec un troisième album intitulé Nues, actuellement défendu par le single « Palladium ». Le duo féminin nous plonge dans la genèse de ce nouveau projet. Rencontre avec aficia.

Le duo Brigitte a opéré son comeback cet automne avec un troisième album baptisé Nues, lequel intervient trois ans après la sortie d’À bouche que veux-tu qui avait fait sensation. Devancé par le single « Palladium » et très bientôt défendu sur scène, ce nouvel opus plus intime et dépouillé renvoie à des douleurs passées et séduit par des mélodies toujours aussi envoûtantes. Sylvie et Aurélie nous racontent la genèse de celui-ci entre Paris et Los Angeles, et partageant ainsi leurs sources d’inspiration et leurs désirs qui en font un duo si singulier.

On n’a pas changé les recettes, ni notre façon de faire.

La confirmation du succès avec votre deuxième album, était-ce une pression supplémentaire pour la suite ou, au contraire, est-ce que ça vous a permis d’aborder les choses plus sereinement ?

Sylvie Hoarau : On ne travaille jamais en pensant à ce genre de choses… On est plutôt tournée sur ce qu’on va faire. Bien-sûr que nous sommes ravies du succès de notre deuxième album. Mais on ne peut pas écrire des chansons en ayant ça dans la tête. Bien au contraire, on ne s’est pas du tout intéressée au succès que pourrait avoir ce nouvel album, au fait que le public puisse tout comprendre ou suivre ce qu’on allait faire. On cherche tout simplement à écrire de belles chansons.

Trois ans qui s’écoulent entre deux albums, c’est un temps long aujourd’hui…

Aurélie Saada : C’est long et pas long à la fois. Parce que tu sais, nous, on tourne beaucoup. On fait énormément de concerts. On avait fait près de 200 concerts avec À bouche que veux-tu. Du coup, on avait fini la tournée à la fin du mois de juillet 2016. On a pris à peu près un mois de break. J’ai commencé à écrire des chansons dès le 1er septembre. Et puis en mai dernier nous sommes entrées en studio. C’est assez rapide en fait ! Pour te dire la vérité, on n’a pas réellement fait de pause dans notre carrière. Certes, il y a bien trois ans entre ces deux sorties ; mais la tournée est quelque chose qui prend beaucoup de temps et qui est extrêmement important pour nous.

Ce nouvel album s’appelle Nues. Est-ce que pour autant il est plus authentique que les deux premiers ?

Sylvie Hoarau : L’authenticité a toujours été quelque chose de très important pour nous. Dans notre démarche, on a toujours dit que nos chansons étaient comme un journal intime. C’est la forme qui change. Parfois, il peut prendre une forme un peu plus disco, comme avec À bouche que veux-tu, plus folk aussi… Là, l’authenticité est la même, mais il y a quelque chose de l’ordre de l’intime qui est offert en plus. On a osé parler de nos douleurs et de notre manière de les gérer.

Qu’est-ce qui a motivé cette envie ou ce besoin de s’ouvrir encore un peu plus au public ?

Aurélie Saada : Sans doute qu’à force de creuser toujours plus, on a dévoilé un peu plus de notre jardin secret. Peut-être que notre éloignement peut l’expliquer aussi. Sylvie vivait à Paris quand je suis partie aux Etats-Unis. Quand on est loin, souvent on va à l’essentiel. On est au cœur des choses, on se sent plus seul avec son silence et avec ses émotions. Alors, on fait appel aux souvenirs. De là peuvent surgir des sentiments de nostalgie et de mélancolie.

On aime bien les mélanges et pas que tout aille dans un seul sens !

Qu’est-ce que ça a changé pour vous de travailler majoritairement à distance cette fois-ci ?

Aurélie Saada : Quand on a travaillé sur le premier album, j’avais déjà vécu en Israël. C’est pendant ce temps-là qu’on avait d’ailleurs écrit la chanson « Oh La La ». Donc j’aurais tendance à dire que tout nous est déjà arrivé. On n’a pas changé les recettes, ni notre façon de faire. Je dirais plutôt qu’on épouse à chaque fois les situations. Là, j’étais loin. On a fait avec.

Est-ce que ça a été bénéfique de travailler aussi loin l’une de l’autre, et en particulier outre-Atlantique pendant un temps aussi long ?

Aurélie Saada : Pour tout te dire, Sylvie est quand même venue me voir quatre fois aux Etats-Unis. On a pu écrire aussi des chansons ensemble, enregistrer l’album, faire des clips et des photos… (Sourire) Mais, oui, pour te répondre, ça a été bénéfique. Ce qui est important, c’est de ne pas concevoir les contraintes comme un gros problème. Nous, on le prend comme un nouvel élément positif. C’est toujours très intéressant.

Tu parles du shooting qui a été réalisé pour cet album. Il propose un nouvel univers visuel moins chargé qui renvoie au titre Nues.

Sylvie Hoarau : On voulait quelque chose qui nous ressemble et de pas trop sophistiqué. Pour nos tenues, sur la pochette de l’album, on a superposé plusieurs robes et plusieurs jupes. On a assemblé des choses qui n’avaient rien à voir, avec cette coiffe imposante, très voyante… On aime bien les mélanges et pas que tout aille dans un seul sens ! (Sourire) On est assez peu maquillée. On voulait aussi associer un univers plus dépouillé à des textes intimes.

On a notre propre label et on produit nos clips.

Il y a morceau qui a plus particulièrement retenu mon attention, « Le goût du sel de tes larmes », en raison du piano omniprésent. Pour le coup, c’est nouveau pour vous l’usage qui est fait de cet instrument.

Sylvie Hoarau : Comme sur d’autres titres de l’album, même s’il n’est effectivement pas aussi présent que sur celui-là. En fait, quand elle a emménagé dans sa maison de Los Angeles, Aurélie a trouvé un vieux piano désaccordé qui était là. Elle a écrit et composé pas mal de chansons sur ce piano. C’est ce qui explique le côté un peu plus dépouillé qu’on trouve sur certaines pistes et sur « Le goût du sel de tes larmes » en particulier. On a voulu lui laisser toute la place qui lui fallait. Sur Nues, on n’a d’ailleurs utilisé que des instruments analogiques. Il n’y a pas de synthés ni de batterie électronique… Il n’y a pas de sons synthétiques.

Écoutez le titre « Le goût du sel de tes larmes » :

Je dirais finalement que cet album a un caractère très artisanal. Êtes-vous d’accord avec ce qualificatif ? Est-ce qu’on peut dire que c’est la marque de fabrique de Brigitte ?

Aurélie Saada : C’est vrai qu’on a toujours tout fait. On a notre propre label et on produit nos clips. Moi je les réalise. Je m’occupe de toute la direction artistique et je fais même le stylisme. Ce sont des choses qui sont prises dans mes placards. Je n’engage pas un styliste pour faire du shopping pour nous. Ce sont des trouvailles chinées dans des marchés aux puces. Les coiffes viennent de La Nouvelle Orléans et les boucles d’oreille de Mexico. Notre démarche, c’est tout l’inverse des projets « marketés ». Tout est super personnel, travaillé du début à la fin.

C’est aussi ce qui peut rendre parfois complexe l’interprétation des choses et l’entrée dans l’univers de Brigitte.

Aurélie Saada : Peut-être… Mais aujourd’hui, on simplifie tout. Pour nous, tout a un sens. Rien n’a été laissé au hasard. Chaque détail raconte quelque chose qui est en lien avec les textes qu’on écrit et la musique que l’on fait. C’est ça qui est intéressant.

On n’a pas choisi de faire de la musique ensemble pour montrer un groupe féministe.

L’autre titre qui m’a interpellé sur cet album, c’est « Sauver ma peau ». J’ai ressenti avec celui-là un sentiment d’urgence à vivre qu’on n’avait pas entendu chez Brigitte avant. Quels événements ont inspiré celui-là ?

Aurélie Saada : Ça vient évidemment de nos vies, des choses qu’on a pu vivre et des violences qu’on a pu ressentir. Aucune violence n’en vaut la peine ! C’est un album qui est beaucoup tourné sur la consolation et sur la gestion de la douleur. L’une des issues possible, c’est d’aller loin avant qu’il ne soit trop tard.

Comme de se réfugier à Los Angeles par exemple… Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter la France Aurélie ?

Aurélie Saada : En l’occurrence, il s’agit d’une histoire d’amour dans ce titre-là. (Sourire) J’ai pris cette décision le 14 novembre 2015, le lendemain des attentats de Paris. Je voulais partir le plus loin possible. C’est à 12.000 kilomètres ! (Sourire) Mais je suis très heureuse d’être rentrée et je ne ressens plus la même angoisse que lorsque je suis partie. D’ailleurs, je trouve qu’à Paris on est fort et résiliant les uns des autres.

Il y a un titre justement qui s’appelle « Paris » sur cet album. Est-ce l’exil qui nous rappelle à quel point on aime une ville et qu’est-ce qui t’a le plus manqué à Los Angeles ?

Aurélie Saada : La baguette ! (Rire) Plus sérieusement, j’adore le sentiment de solitude. C’est un sentiment très fécond qui permet de beaucoup écrire. Le silence qu’on retrouve dans ces grandes villes comme Los Angeles est très étrange. On est seul dans sa bagnole ! (Sourire) C’est ce silence que je trouve inspirant et très utile parfois.

Écoutez le titre « Paris » de Brigitte :

Pourquoi avoir voulu rendre hommage à la romancière Zelda Fitzgerald à travers une chanson éponyme ?

Aurélie Saada : Elle a vécu une vie particulière. Elle était belle et talentueuse. Elle avait une vie pleine de promesses. Elle a épousé un homme qui était fou d’elle et, au contact de lui qui était très égocentrique, elle n’a plus écrit. Elle n’a plus jamais édité… On pense même qu’il aurait signé certains de ses textes. Et puis elle a fini folle. Donc c’était d’une certaine manière lui rendre justice !

Brigitte, un duo féministe ?

Sylvie Hoarau : Très honnêtement, on n’a pas choisi de faire de la musique ensemble pour montrer un groupe féministe. Ce n’était pas le but recherché au départ. Mais, de fait, il se trouve que nous sommes des femmes avec chacune nos convictions et que ça paraît dans notre manière d’être. Alors, oui, on peut dire qu’on est un groupe féministe, mais pas de castratrices ou violent. On s’inscrit plutôt dans une démonstration de nos libertés.

Regardez le clip « Palladium » de Brigitte :

On ne peut donc pas imaginer l’une sans l’autre dans un avenir plus ou moins proche ?

Aurélie Saada : Non ! Je pense qu’on est un binôme qui fonctionne plutôt bien ! (Rire)

Plus sérieusement, vous avez enregistré un duo avec Eddy Mitchell récemment pour son disque La même tribu. Comment s’est déroulé cette rencontre ?

Aurélie Saada : On a rencontré Eddy Mitchell dans des conditions différentes en fait. Sylvie l’a vu à « Taratata » et moi lorsqu’il enregistrait à Los Angeles. Je suis allée le voir alors que je ne le connaissais pas. Il était en cabine en train de chanter. C’est là qu’il m’a été proposé d’aller chanter avec lui… Je me suis retrouvée dans la cabine en face de lui pendant que ses musiciens enregistraient la musique de « La fille du motel ». On a fait les voix témoins de ce morceau-là. Donc j’ai eu les yeux plongés dans ses yeux. (Sourire) C’était complètement dingue ! J’ai eu des frissons tout du long ! J’adore ce type… On a passé pas mal de bons moments ensemble depuis. C’est un formidable artiste qui est exactement comme je l’imaginais. C’est quelqu’un qui nous inspire.

Et quels autres artistes français vous inspirent ?

Aurélie Saada et Sylvie Hoarau : Michel Polnareff, Véronique Sanson, Juliette Armanet, Juniore, Michel Jonasz, Alain Souchon évidemment… Barbara aussi !

Aurélie Saada : On aime beaucoup aussi l’écriture d’OrelSan, qui a fait un magnifique disque [ndlr : La fête est finie].