Lord Esperanza-Phoenix
Lord Esperanza-Phoenix

Lord Esperanza sublime la maïeutique dans Phœnix    

Après presque trois ans d’absence, Lord Esperanza signe son grand retour à travers l’album Phœnix, dévoilé le 7 avril.  Le long de 15 titres, l’artiste s’y confie et arbore une direction musicale assumée. Esprits ravivés, production solaire, aficia vous propose d’arpenter les couloirs incandescents de cet audacieux projet.

Le voici de retour, l’enfant du siècle a bien grandi. Derrière lui, les étendards de six projets : Drapeau Noir / Polaroïd / LordEsperanzadanstaville I & II / Internet et Drapeau Blanc . Loin d’être honteux ou même fâché face à ses précédents opus, c’est armé d’expériences que Lord Esperanza dévoile aujourd’hui sa dernière création : l’album Phoenix, sorti le vendredi 7 avril. Une fresque de quinze titres, dont trois featuring (Médine, Némir et Lefa).

Le temps de 56 minutes, Phoenix se lance le défi d’opérer un sacré voyage, celui d’inviter l’auditeur à contempler une renaissance. Celle d’une âme libérée qui qualifie elle même ce projet de «version la plus complète», d’elle-même. Mais ce pari est-il relevé ? aficia vous livre sa chronique.

Phoenix : accepter sa trajectoire

Cela n’échappera pas aux auditeurs assidus du Lord, nous sommes en face du projet le plus intime de l’artiste parisien. À celui qui annonçait ceci dans son titre “Illusoire(issu du projet Drapeau Blanc paru en 2019) : “Moi, j’peux pas donner mon âme, un jour, j’te raconterai, pourquoi la plupart des femmes ne peuvent plus me rencontrer”, a aujourd’hui raconté bien plus que cela.

Amour (“Les Hommes pleurent”), maladie (“Les Ombres”), famille (“Château de cartes”), Lord Esperanza a déposé en Phoenix de nombreuses facettes jusque-là pudiquement gardées à l’écart de ses textes. Place nette est ainsi faite aux fragilités et aux confidences dans cet opus. Un ensemble de quinze titres comme une main tendue aux vécus de tous ses auditeurs. À nous, malicieux danseurs se reconnaissant dans la fosse, à travers la joie d’un pogo partagé sur “Noir Partie II” ou dans l’allégresse du silence atteint au détour d’un “Boulevard”.


«Qui croît aux âmes, tu vois ? Moi, moi. Voilà, imaginez le conseil des vieilles âmes […] Attention, vous connaissez la règle du jeu. À partir du moment où vous vous incarnez, vous oubliez tout et vous r’dev’nez des humains […] C’est comme un moyen d’dire aux gens, euh, acceptez votre existence».


En effet, pour ce qui est du thème global du projet, si le doute était encore présent pour quelques oreilles égarées, le titre Paramour finalise entièrement sa compréhension. Au-delà d’être le coup de coeur écriture de la rédaction, le titre possède pour cet album le statut d’interlude. Le temps des ses dernières secondes, on y entend notamment un échange entre l’artiste et une femme à propos des âmes. Tel le film d’animation Soul, de Pete Docter et Kemp Powers, le duo s’entretient vis à vis du concept de LPA, «Live Packaging Acceptation». Une notion selon laquelle les âmes, pour goûter à nouveau aux plaisirs de l’incarnation, plongent dans un corps qu’elles ne connaissent pas. À travers ce symbole, le message insufflé est le suivant : accepte la vie qui t’a été donnée.

Voici notre puzzle désormais complet. Par ses fragilités dévoilées, ses intimités sublimées, Lord Esperanza propose à ses auditeurs d’accepter leurs conditions. Qu’importe les épreuves, qu’importe les travers du corps, l’entourage et les relations évanouies, le cycle recommencera sans cesse (“Peu importe” / “Neiges éternelles” / “Après l’Orage”).

Peu importe la couleur, on a le même apport, la même peau
J’ai compris qu’j’f’rai pas grand chose, si jamais je n’m’aimais pas.

Lord Esperanza / Paramour

Alors autant s’en accommoder. Non en voulant renier au minimiser les douleurs, l’album propose au contraire de dessiner les contours du bonheur par les traits de l’amour de soi et des expériences. Accepter nos émotions, accepter nos aspérités (“Jamais assez”), et revendiquer haut et flammes qui nous sommes. Un art de la réflexion qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de la maïeutique (coucou le titre de l’article).

Sans couronne sur la tête, il s’en bat les couilles royalement

D’un point de vue musical, nous avons affaires à un Lord très organique (on salue au passage les travaux de Ninovellamusic, véritable manitou sonore de cet album), qui a pris confiance en son interprétation et qui n’hésite d’ailleurs pas à chanter et faire durer les notes. Pour autant, on ne tombe pas dans la redondance et une vraie palette se dessine sous nos yeux. De l’obscur attractif des Ombres, aux chants des Hommes qui pleurent, en passant par la délicatesse d’un château de cartes, les choix des productions s’alignent parfaitement avec cette idée d’harmonie disparate.

L’écoute navigue entre de nombreuses influences sonores et se dote ainsi d’une belle durée, offrant d’ailleurs par ce biais, un replay très agréable. Des choeurs, des distorsions et de véritables temps sont laissés aux compositions. À n’en point douter, Phœnix s’est forgé dans les entrailles curieuses d’un studio et de tous ses instruments.

D’un point de vue mélodique, on s’est laissé aller, il y a une vrai identité sonore. Je n’ai vraiment pas penser aux attentes, je me suis fait plaisir. Cet album est co-produit par Nino Vella (Rouquine), avec, je suis allé jusqu’au bout de ce que j’osais à peine effleurer avant. J’ai trouvé mon équilibre entre les notes et les mots.

Lord Esperanza pour aficia

Dans cet album, Lord Esperanza n’attend plus rien du regard des autres et souhaite assumer autant son interprétation que ses mots. Il ne manque pas d’ailleurs de le souligner. À celui qui se disait “Couronné” il y a deux ans, revendique aujourd’hui le titre de “Roi sans couronne”.

Apaisé dans son rapport au succès, libéré d’une industrie oppressante, l’enfant du siècle semble avoir trouvé son équilibre. Ces rapports, l’artiste en parle d’ailleurs très bien dans ces deux interviews, l’un accordée à Interlude, l’autre au Code :



Visuels de zinzin

Le temps d’un aparté, il était aussi nécessaire de saluer les travaux de représentations visuelles qui accompagnent Phoenix.

La cover, tel un volt face fait au romantisme de David Friedrich illustre merveilleusement cette notion de reconquête des ressentis et d’acceptation de soi. Les clips, quant à eux, confiés à Killian Boucheret, achèvent avec leurs références cinématographiques de peindre l’artiste dans toutes ses failles. Enfin, ultime bravo aux équipes de photographie @leo_cannone@karlcan pour ne citer qu’eux.

Lord Esperanza attache depuis longtemps une attention toute particulière à son esthétique, cet album n’a pas dérogé à la règle.

Une renaissance inachevée ?

Bon, nous en sommes là.
À ce stade de lecture, on pourrait affirmer que Phoenix est le meilleur album de Lord Esperanza, que l’artiste a atteint son apogée. Et pourtant, même si cela nous écorche, nous ne pouvons pas entièrement l’affirmer.

Il s’agit de son meilleur album, cela ne fait aucun doute. Ne serait-ce que pour l’épanouissement évident de son propos, de sa production et de son interprétation. Pour autant, cette sensation «d’encore faim», chatouille notre bilan.



Imparfait ? Oui. Imparfait car abordant l’intime. Comme dit précédemment, c’est la première fois que le Lord s’y essaye avec autant d’intensité et cela s’entend. Certains propos sont redondants bien que limpides. Comme si l’artiste voulait à tout prix nous faire comprendre son message. On regrette d’ailleurs un peu cet interlude, même si sa place se justifie entièrement tant l’échange est intéressant, ce dernier se place dans cette tendance étonnante de raconter un album de manière didactique (Lomepal avec Mauvais Ordre en est le dernier exemple phare). Même si ici, avouons le, plus que d’un défaut, on parlera de préférence.

De même, tant la patte s’est voulue libérée sur l’aspect musical, l’acerbe et la technicité de l’écriture s’effacent parfois derrière des formules chantées trop tentantes. Ce phrasé imagé, naviguant entre les siècles, puisant dans un spleen que l’artiste maîtrise à merveille, a quelque peu déserté le champ de création de Phœnix. D’autant plus que les titres “Black Amadeus” et “Noir Chapitre III”, légèrement en dehors du propos central de l’album, semblent teaser de ce que pourrait être un Lord entre technique et plaisir de production. Attention, nulle envie pour nous de faire cette fausse course aux bangers. Un titre délicat peut tout à fait être allié à ce goût de la formule, “Paramour” et “Believe” en sont deux parfaits témoins.

Lord Esperanza : qu’attendre pour la suite ?

Mais en finalité, bien sûr, c’est une grande partie de positif qui se dégage de ce projet. S’alignant derrière Georgio, YouvDee, Zed Yun, Lomepal, Primero, ou encore Damso, Lord Esperanza assume une mue libérée vers un contenu bien plus proche des instruments qu’aux commencements de sa carrière. Mais justement, dans cette scène qui assume définitivement d’abandonner le regard des autres et une interprétation épanouie, la concurrence sera rude pour se démarquer avec justesse.

Alors, à n’en point douter, la Rédaction ne pourrait être que curieuse de ces nouveaux possibles qu’offrirait un Lord Esperanza alliant cette authenticité nouvelle à son insolence passée.

À lui donc de trouver sa patte. Mais honnêtement, l’inquiétude est faible quand on sait que l’artiste est l’instigateur d’un tour de France et d’Europe en feats ou encore l’auteur du freestyle lunaire Acid Banks .

Le mot de la fin pour cette chronique, Lord Esperanza le confiait lui-même lors de notre dernière interview : “Avec ce projet j’ai compris qu’une carrière c’était comme un train, comme le disait Jean d’Ormesson. Certains montent au début, puis descendent, il n’y a aucun regret à assister à ce ballet. Il ne faut pas se sentir obligé de vouloir faire rester les passagers”.

En tout cas nous, nous resterons volontiers dans le wagon.

Lucas Laberenne

Lord Esperanza-Phoenix
Phoenix de Lord Esperanza
Verdict

Lord Esperanza signe avec Phoenix un retour réussi. On y découvre un thème universel, abordé avec intimité, le long de quinze titres cohérents aux productions finement léchées. Plus que de raviver ses cendres, l’artiste offre à travers ce projet une prise de recul éclairée sur sa carrière et semble même y avoir atteint une forme sérénité musicale. Cet équilibre désormais atteint, nous n’attendons plus qu’une chose, qu’il soit pleinement exploré.

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