Disiz La Peste en interview : « Je n’ai jamais eu de plan de carrière »

[dropcap]B[/dropcap]ientôt sur les routes, Disiz La Peste se confie à aficia au sujet de son nouvel album Pacifique, révélant qu’il était le témoin d’une étape charnière dans sa vie.

L’année 2017 est celle du changement pour Disiz La Peste. D’une part car l’artiste reprend son nom d’origine, laissant de côté ceux avec lesquels il avait évolué pendant près de 20 ans de carrière. D’autre part parce qu’il change d’équipe et se retrouve désormais au sein de l’écurie Polydor, le label de Calogero, BigFlo & Oli ou encore Nekfeu. Il livrait au début de l’été son 11ème album studio au doux nom de Pacifique, inspirant à la fois un sentiment de plénitude et de violence. Jouant sur une palette d’émotions très large, il aborde à travers ses nouveaux morceaux des sujets du quotidien qui trouvent une résonance en chacun de nous. C’est à l’occasion du lancement d’une tournée que Disiz a accepté de se confier, révélant entre les lignes quelques pans de sa personnalité.

Qui est vraiment Sérigne M’Baye ? Disiz, Disiz La Peste ou Disiz Peter Punk ?

Je te réponds volontiers que c’est la même personne. C’est à dire moi. C’est juste que ces changements de noms ont résulté d’une envie de me détacher d’étiquettes qui m’ont collé à la peau à certains moments de ma carrière. Au départ, j’étais le rappeur marrant. Après, le rappeur intello’… Moi-même, il y a aussi des choses que je n’assumais pas. Par exemple, quand j’ai voulu faire du rock, je ne l’assumais pas du tout. Alors j’ai changé de nom. Pareil quand j’ai publié mon livre ! Bref… Ce temps-là est révolu. Je me fais à nouveau appeler Disiz La Peste. Mais tu peux m’appeler Disiz, ça ne me posera aucun problème. (Sourire)

Il n’y a pas de schizophrénie ?

Non, absolument pas. Parce que justement, quand on écoute mes différents projets, on voit bien que je reste le même. Je ne suis pas un jour le plus gros dealer de toute la planète et le lendemain le bon père de famille. Ça a toujours été la même personne qui parlait dans mes disques. On retrouve toujours les mêmes thématiques et les mêmes messages. C’est simplement la forme qui change. C’est normal, on évolue. Quand on a dix ans, on n’a pas la même forme, au niveau physique – et dans le métabolisme – qu’à 30 ans.

La nouvelle forme s’appelle Pacifique. Elle est complètement différente de ce qu’on connaissait déjà. Pourquoi avoir choisi ce titre-là ?

C’est une espèce de métaphore qui joue sur ce que représente dans l’inconscient l’océan Pacifique, qui est quelque chose d’immense, de très étendu, de beau et qui nous renvoie à des paysages paradisiaques. Et en même temps, c’est synonyme de paix. C’est ce sentiment intérieur que je cherche. Et je lutte pour atteindre cette paix intérieure. Ce disque est une illustration de plusieurs émotions. Et les émotions sont comme les vagues. Elles vont, elles viennent…

J’avais envie d’aborder les choses de manière moins nombriliste.

Sur la pochette de cet album, on voit justement une très grande vague qui masque une partie de ton visage. Est-ce que finalement Disiz La Peste n’est pas submergé par ses émotions ?

C’est exactement ça ! C’est pour ça que j’utilise les métaphores en faisant référence aux grands espaces, comme le cosmos par exemple. Parce que ce sont des choses qui souvent nous dépassent, nous submergent. Et je crois justement que la vie nous submerge très souvent dans notre quotidien. Je ne voulais pas faire un disque qui soit ancré dans un époque ou dans un lieu particulier. Je ne voulais pas être rangé dans une case et qu’on dise que c’était le disque d’un rappeur. À mon âge et après dix albums, j’avais envie d’aborder les choses de manière moins nombriliste, en étant moins porté sur ma petite personne. Je soulève peut-être des questions métaphysiques un peu bêtes, mais c’est ce qui me tenait à cœur. Je ne sais pas comment le dire autrement.

À l’écoute de cet album, on ressent énormément d’influences, on constate que tu as voulu aller dans plusieurs directions différentes. Qu’est-ce qui a été le plus difficile sur ce disque ? Comment es-tu parvenu à arriver là où tu voulais aller par rapport à ton idée de départ ?

Pour moi, tout était clair, et rien n’était dur. Le fait de faire cohabiter des morceaux electro et des morceaux un peu trap, et puis d’avoir parallèlement une image qui intègre les codes du rap tout en lorgnant sur autre chose, dans la mode, la poésie ou le cinéma, c’était d’emblée possible. (Sourire) C’est pour les personnes avec lesquelles je travaille que ça a été plus compliqué. Plus compliqué de leur expliquer ce que je voulais et de leur faire accepter. Mais quand je vois le résultat, l’engouement autour de cet album, et le fait que je touche différents publics que je ne touchais pas avant, je me dis que les gens sont prêts pour ce genre de propositions. C’est quand même la première fois qu’il y a autant de médias qui s’intéressent à moi ! Alors, soit les artistes ont trop peur, ou les maisons de disques sont trop frileuses pour des projets comme celui-là. Mais c’est quoi qu’il en soit tout à fait possible de les réaliser. J’en suis la preuve !

Je préfère dire les choses en musique parce que c’est plus joli.

Est-ce que techniquement parlant tu aurais pu réaliser un disque comme celui-là quelques années plus tôt ?

J’ai essayé de le faire auparavant, mais je n’avais pas encore la maîtrise. Disons que je ne me l’autorisais que sur certaines chansons, dans quelques toutes petites cases. Du coup, j’avais quelques morceaux qui sortaient du lot, mais ce n’était pas un tout. Là, j’ai fait exactement l’inverse. Il y a ce que j’appelle une émotion inconsciente tout au long de l’album. C’est à dire que dans chaque morceau, il y a un lien avec le précédent. Soit au niveau des textures de voix, soit au niveau des réserves, des liaisons… Tout est travaillé de A à Z, rien n’a été laissé au hasard. Et il n’y a que comme ça qu’on peut arriver à faire cohabiter des morceaux comme « Splash » qui est très electro/house et d’autres comme « Autre espèce » qui est plutôt trap.

Tu parles du titre « Autre espèce », j’ai envie de te demander ce qui te contrarie le plus dans la société du 21ème siècle ?

Tu sais, je préfère dire les choses en musique parce que c’est généralement beaucoup plus joli. En interview, ça paraît toujours un peu plus ‘bateau’. C’est l’individualisme tout simplement. Et je ne me mets pas hors de la mêlée quand je dis ça. Je pense notamment aux égoïsmes du petit quotidien. En macro-vision, ça donne lieu à un monde qui est totalement injuste.

Écoutez le titre « Autre espèce » de Disiz La Peste :

On retrouve Stromae aux crédits de Pacifique. Comment en êtes-vous venus à collaborer ensemble ?

En fait, Stromae je le connais depuis pas mal de temps. Depuis que j’ai enregistré mon deuxième album il y a un peu plus de dix ans. Je travaillais avec des Belges qui le connaissaient. Il n’était pas encore trop connu et ils m’avaient demandé si je pouvais donner mon avis sur ses prods. C’est ce que j’ai fait. Je l’ai appelé et je lui ai dit que j’aimais beaucoup ce qu’il faisait. Entre temps, il est devenu la méga-star qu’on connait. On s’est recroisé par la suite et il s’est souvenu de moi. Quand est sorti le titre « Autre espèce » au mois de janvier, il m’a envoyé un message et m’a dit à son tour qu’il aimait beaucoup ce que je faisais. Je lui ai donc proposé de travailler avec moi sur ce disque-là. Et voilà !

Aujourd’hui, je peux utiliser ma voix exactement comme j’en ai envie.

Il se dit que tu as pris des cours de chant pour l’enregistrement de ce disque. De manière faussement naïve, je vais te demander pourquoi beaucoup de rappeurs chantent aujourd’hui ?

Beaucoup de gens pensent que le rap est violent ou un peu drôle. Ils imaginent un mec avec une casquette et vulgaire. Quand on regarde ce qu’il était au départ, le rap était déjà beaucoup de choses. Être rappeur, c’est large. C’est quelqu’un qui peut poser sur tout et n’importe quoi, et sur tous les supports. Donc moi, ça ne m’étonne pas du tout de devoir prendre des cours de chant pour l’enregistrement d’un album. Je voulais chanter juste et acquérir une certaine technique. J’avais envie de passer à quelque chose de plus conséquent en termes de propositions mélodiques. Ça passe forcément par l’apprentissage. Aujourd’hui, je peux utiliser ma voix exactement comme j’en ai envie.

Tu fêteras l’année prochaine tes 40 ans, on peut le dire. Comment appréhendes-tu cette étape, à la fois sur le plan personnel et artistique ?

C’est une bonne question ! Et je réponds en même temps à l’une des précédentes… (Sourire) J’ai fait Pacifique parce que j’ai cet âge-là. Pacifique est à la croisée des chemins. Je pense que j’avais déjà fait le tour de ce que j’avais entamé avant. Là, j’engage une nouvelle décennie si on peut parler comme ça. Il fallait que j’y aille avec un disque comme celui-là. Il est le résultat aussi de tout ce que j’ai fait avant, de mes échecs et de mes succès.

Tu n’as jamais eu de plan de carrière ?

Je peux te dire que non, je n’en ai jamais eu. Parce que lorsque j’ai créé Peter Punk, que j’ai laissé pousser mes cheveux et que j’ai commencé à mettre de la guitare dans ma musique, c’était plus un suicide… (Rire) Mais je ne regrette pas pour autant, parce que je ne ferais pas ce que je fais aujourd’hui si je n’étais pas passé par là.