© Ellen von Unwerth

ASPHALT en interview Sans Filtre : “Les critiques m’ont donné un moteur pour persévérer”

Retenez bien ce nom car vous n’avez pas fini d’en entendre parler : ASPHALT et sa pop rock “souffrante et sexy” risquent d’envahir les ondes françaises en 2025 ! On a rencontré le rockeur pour une discussion passionnante au sujet de son premier EP à paraître au printemps 2025, de sa collaboration avec Benjamin Biolay sur son nouveau single ou encore des préjugés autour des artistes “fils de”.

ASPHALT, L’Interview Sans Filtre :

Pour commencer, peux-tu te présenter à nos lecteurs et nous expliquer l’origine de ton pseudo ?

On me pose beaucoup la question dernièrement, et ça me demande de me replonger dans mes souvenirs parce que je fais de la musique depuis pas mal de temps déjà… C’est limite devenu un peu comme mon prénom, je ne me pose plus la question de savoir d’où il vient car c’est comme si je ne l’avais pas choisi. J’ai mis du temps à trouver “ASPHALT” mais je me souviens que lorsque j’ai découvert ce mot j’ai directement eu un coup de cœur pour sa sonorité, parce que c’est très punchy.

Ensuite, j’ai tenté de trouver une justification à ce nom. C’est quelque chose que je fais très souvent, même quand je compose de la musique : c’est toujours la forme qui me séduit en premier, mais si je ne trouve pas de justification à un mot ou à une mélodie alors je ne peux pas la garder (rires). Mais globalement, ça m’évoque que des choses que j’aime : la route, le voyage, l’idée de partir… parce que c’est avant tout ce que j’ai aimé lorsque j’ai commencé la musique. Pour moi commencer la musique c’était un nouveau départ, tout quitter et mener une autre vie. Puis, au moment où j’ai choisi le nom, j’étais dans une période très cowboy – j’adore cet univers ! Et avec mon ami graphiste on a d’ailleurs créé un logo pour ce projet, qui évoque un sabot de cheval. J’aimais bien ce contraste entre l’asphalte qui est artificiel, et le logo qui évoque un cheval, donc la nature…

J’ai pu jeter un coup d’oreille à ton premier EP qui sort au printemps, et j’ai remarqué qu’il est très influencé rock. D’ailleurs, j’ai lu quelque part que tu aimais décrire ta musique comme “souffrante et sexy”. Qu’est-ce que ça signifie, pour toi ?

(rires) Je suis très sensible à la musique des années 80, et par “souffrance” je souhaitais décrire la sincérité qui émane de ma musique. Je souhaite être sincère, sur tout ce que je peux traverser. Mais en même temps, je veux que ça soit fun, que ça bouge, tout en restant authentique et un peu blagueur. C’est ça qui est sexy pour moi, et je trouve que ça se retrouve dans le heavy metal des eighties il y avait un contraste extrême, ils avaient cette manière de chanter sensuelle et funny alors que dans les paroles c’était la souffrance totale.

J’aime bien essayer de danser avec l’ironie et le drame, être authentique mais sans trop me prendre au sérieux. Souvent, on a tendance à penser que la folk est le genre musical le plus authentique, mais je trouve qu’il y a de l’authenticité à trouver dans plein de choses. 

C’est probablement dû au fait que la folk est un genre musical plus niche de nos jours, alors ça renvoie cette impression d’originalité…? 

Et pour moi, ce n’est pas parce qu’on fait de la musique rock, avec des batteries de fou, qu’on casse l’émotion de la chanson pour autant ! J’adore les ballades plus intimistes aussi, mais j’aime surjouer dans ma musique.  

Ce qu’il faut c’est que je sois moi-même, et si ça en dérange certains, c’est leur problème !

Justement, puisque tu parles de rock… J’aimerais savoir comment t’es-tu retrouvé attiré par ce genre musical actuellement en minorité dans le paysage français ?

Ah oui, le rock est le nouveau jazz ! (rires)

Carrément ! 

C’était naturel. Les groupes qui m’ont fait adorer la musique étaient des groupes de rock, même si j’écoute plein de choses. Et c’est tout naturellement que j’ai souhaité faire comme eux ! Mais en fait je ne dirais même pas que ma musique est si rock que ça, c’est surtout qu’il y a une omniprésence de la guitare. Et par conséquent, dès qu’il y a beaucoup de guitares dans une chanson on la catalogue comme “rock”. C’est un instrument que j’ai beaucoup entendu, et quand j’en joue ça me fait beaucoup de bien – ce n’est pas pareil lorsque je joue du piano par exemple !

Mais en fait plus le temps passe et moins je suis attaché au rock, parfois je peux être très pop. D’ailleurs, mes deux chansons favorites au monde sont “Stand By Me” de Ben E. King, et “Harvest Moon” de Neil Young. Il faut avant tout que ça me ressemble et que ça soit fun, mais globalement je me donne tout le temps le challenge de mettre le plus de guitares possibles. Dès qu’il y a un synthé dans une de mes chansons, je me pose la question : “Est-ce que c’est possible de reproduire ce son avec une guitare ?”. Et si la réponse est oui, alors on enlève le synthé. En réalité je suis assez éclectique, j’ai également produit pour d’autres et ça n’avait rien à voir musicalement.

On va en parler de ça, justement, mais avant je souhaitais savoir si la musique était une évidence pour toi – en tant qu’enfant d’artistes (sa mère est actrice tandis que son père est photographe, NDLR) ? Est-ce que tu as bénéficié d’une éducation musicale ?

Je n’ai pas eu d’éducation musicale, d’ailleurs jusqu’à tard je pensais que c’était de la sorcellerie que seulement certains savaient faire. (rires) Je pensais que c’était inné, magique ! Je faisais juste un peu de guitare mais je ne comprenais pas vraiment comment ça marchait, et un jour j’ai appris la base de l’harmonie et ça a attisé ma curiosité… jusqu’à devenir une passion. Un peu comme si je commençais à tisser un pull, et je me rendais compte en cours de route que je ne veux plus faire que ça de ma vie. C’est vraiment l’expérimentation qui m’a amené à réaliser que j’étais accro, je me sens au bon endroit lorsque je fais de la musique. Je peux parler de musique durant des heures mais c’est particulier d’en faire, ça me canalise et m’aide à ne plus me laisser distraire par les choses de la vie. 

Avant de te faire connaître avec ta musique, tu as commencé dans le mannequinat. Est-ce qu’on se sent pris au sérieux dans le milieu musical lorsqu’on a été mannequin ? Ce sont des métiers qui peuvent cohabiter ?

C’est drôle car j’aurais pu commencer le mannequinat beaucoup plus tôt, mais je me disais qu’il y avait trop de préjugés – même moi, je ne sais pas si ça m’aurait donné envie d’écouter la musique d’un mannequin. Alors que dans l’autre sens…

Oui, c’est sur que c’est pas aussi mal perçu lorsqu’un chanteur se lance dans le mannequinat…

Mais un jour je me suis dit “arrête avec tes préjugés, on te propose d’essayer alors vas-y !”. Ce qu’il faut c’est que je sois moi-même, et si ça en dérange certains, c’est leur problème ! D’autant plus que j’en ai pas fait beaucoup, je n’en vis pas d’ailleurs…  Cela fait deux ans que j’ai commencé, et le peu de mannequinat que j’ai fait se résumait à des éditos par-ci, par-là. C’est seulement depuis quelques mois que ça commence véritablement à prendre, et peut-être que j’en ferai encore dans les mois à venir. Maintenant je me dis que si la musique est bonne, c’est tout ce qui compte finalement !

Tes premiers pas dans la musique, c’était d’abord en produisant pour d’autres – notamment pour le rappeur Damys (récemment aperçu dans “Nouvelle École”, NDLR). Est-ce que tu ressentais une certaine appréhension à l’idée de te lancer à ton nom ? 

J’ai rencontré Damys par un ami, et il faut savoir que mes premières productions musicales se résumaient à reproduire le hip-hop que j’entendais autour de moi, dans mon coin. C’est un genre musical avangardiste, il y a toujours quelque chose de nouveau dans le hip-hop, et moi étant un grand amoureux du rock j’essayais toujours de l’incorporer plus ou moins dans ce que je faisais. Ce n’est pas simple à faire ! (rires) Damys a beaucoup aimé ce que je faisais, on a fait plein de choses ensemble, et je pense que ça m’a beaucoup appris. Lui était déjà assez fort artistiquement et je me suis dit que j’allais me donner à fond dans ce que je faisais avec lui parce que c’était très formateur, parce que je voyais bien que lorsque je tentais de faire quelque chose seul je n’y arrivais jamais jusqu’au bout. C’est aussi cool d’être au service de quelqu’un, il y a moins de danger car c’est lui qui porte le projet… 

Et puis j’ai commencé à sortir mes propres chansons en parallèle. 

C’était d’abord des chansons en anglais. Est-ce que, cette fois encore, il y avait une certaine retenue à l’idée de chanter dans ta langue ? Ou c’était un parti pris artistique ?

Cela s’est fait tout seul, car la grande majorité de ce que j’écoute est en anglais. Mais c’est clair que, depuis que je chante en français, je me sens moins seul. Quand tu chantes en anglais, tu peux un peu te faire des films, d’une grande carrière internationale… et tu déchantes vite ! Avec le français, j’ai plus la sensation de faire partie de quelque chose. Je ne sais pas encore quoi, mais c’est quelque chose ! (rires)

Pour continuer sur les à prioris, avoir des parents célèbres peut être un avantage comme un véritable cadeau empoisonné. En dépit des opportunités professionnelles que ça apporte certainement, ressens-tu le besoin de devoir travailler deux fois plus dur qu’un chanteur lambda afin de prouver ton potentiel ?

De base, je me mets tout le temps cette pression de travailler dur, mais je ne sais pas si c’est lié à ça… Quand j’ai commencé la musique j’étais vraiment naïf, j’étais convaincu que ce que je faisais était méga lourd, puis j’ai réalisé qu’il fallait passer la seconde car ça allait être très dur. Est-ce que tu entends par rapport à ma légitimité d’artiste ? 

Exactement, est-ce qu’on t’a déjà fait ressentir dans ce milieu de la musique que tu valais moins que d’autres, que tu étais moins talentueux…

Franchement, je n’ai pas encore eu énormément d’expériences avec les médias donc je ne peux pas dire qu’on ne m’a pas pris au sérieux. Pas encore.

Cela doit être lourd, au bout d’un moment, que les journalistes en face mentionnent tout le temps le nom de tes parents…? 

C’est saoulant parfois, mais je pense qu’au début j’ai pu être le premier à en parler. (rires) Ça m’est déjà arrivé de ne pas me prendre au sérieux moi-même. J’ai passé beaucoup de temps à faire de la musique enfermé dans ma chambre et c’était probablement lié à ça, je voulais me faire connaître grâce à ma musique et rien de plus. Seulement, au fil du temps, je me suis rendu compte que la vie est faite de rencontres, et que je sois “fils de” ou non, si je décide de rencontrer personne, il ne va rien se passer pour moi… Il fallait que j’apprenne à me faire aider, et depuis un moment je fréquente de plus en plus de musiciens, je suis plus ouvert. Je me suis rendu compte que je ne peux pas décider de ce que les gens pensent, moi je veux juste créer quelque chose de pertinent musicalement et si les gens n’aiment pas… Je pourrais leur prouver autant que je veux, leur perception ne changera jamais. 

Qu’est-ce que tu réponds aux détracteurs qui disent qu’il est plus facile d’obtenir des opportunités professionnelles et une exposition lorsqu’on est “fils de” ? 

Et bien, généralement j’ai remarqué qu’il y a d’autres gens qui s’occupent de leur répondre… Il y a toujours un internaute qui va le faire pour toi, tu n’as rien à faire ! (rires) Mais il est sûr que cet à priori m’a donné la force de persévérer ! En fait je comprends les haters, c’est ça qui est bizarre… Moi-même ça m’est arrivé de juger d’autres personnes, et c’est pas cool quoi. Parce que c’est vrai qu’il y a aussi des gens qui, pour cette raison, vont s’intéresser à moi.

Il y a un fetish autour de ça, mais en réalité il y a plein d’artistes qui font plus parler pour leur vie ou leur appartenance que pour leur musique. Je pourrais avoir une crête longue de deux mètres et les gens en parleraient quand même plus que ma musique, alors j’ai réalisé que la vie personnelle et la musique sont inévitablement liées. Tu peux pas vouloir exister juste par ta musique de nos jours, sinon il aurait fallu que je me la joue Daft Punk. (rires) Et même dans leur cas à eux, les casques jouent énormément dans leur popularité ! En fait c’est impossible d’exister exclusivement par sa musique. 

Le fait d’avoir des parents artistes, est-ce que ça met la pression de faire aussi bien qu’eux ou mieux ? On sait comment les médias adorent la comparaison, de nos jours…

En fait non, car on ne fait pas la même chose… Ma mère c’est le cinéma, et ce n’est pas du tout pareil. En musique, on est plus dans l’artisanat, on peut créer une oeuvre de toutes pièces dans le confort de sa chambre… quand on fait un film, il faut un réalisateur, un scénariste, des comédiens, des cadreurs. La pratique est très différente. 

Parlons de ta musique, maintenant ! Tu as sorti fin 2024 le premier single de ton prochain EP, qui s’intitule “Lame de Fond”. Quelle est l’histoire de ce titre ? 

Il n’y a pas vraiment d’histoire en fait, seulement un thème. Clairement la peur du futur, réaliser que dans la vie il y a des choix décisifs qui s’offrent à nous… La chanson parle de se sentir un peu paralysé face à ces grandes décisions qui vont déterminer notre avenir.

(silence)

Je suis désolé, je me repasse les paroles dans ma tête… (rires)

Il n’y a aucun mal, je le fais aussi. (rires)

En fait, cette chanson est clairement un pétage de cable face à mon incertitude, on y ressent une certaine rage à l’idée de ne pas faire les bons choix, de ne pas savoir moi-même ce que je veux… D’ailleurs, le pont dans le clip le résume plutôt bien : il représente l’espace entre deux choses, mais quand on est dessus ça n’a aucun sens, c’est seulement un couloir… Et puis il y a aussi le vide à côté, c’est la peur. Un peu comme le logo dont je parlais plus tôt en fait, on a d’abord choisi un lieu pour tourner le clip, puis on a tenté de trouver une interprétation logique à ce pont. 

Mais il y a aussi une partie à laquelle tout le monde peut s’identifier, surtout dans le deuxième couplet lorsque je parle de ce problème moderne qui est de passer sa journée devant son téléphone à laisser le temps filer. On est parfois un peu paralysés par cette vie qui va trop vite.

J’ai réalisé que la vie personnelle et la musique sont inévitablement liées. En fait, de nos jours c’est impossible d’exister exclusivement par sa musique. 

J’ai d’ailleurs remarqué que le titre avait été co écrit avec Benjamin Biolay (son ex beau-père, NDLR). Comment s’est passée cette collaboration avec cette figure de la chanson française ? 

On se connaissait déjà par lien de famille, et je l’ai beaucoup regardé faire de la musique. C’est en le regardant en studio que j’ai décidé que je voulais faire la même chose, j’étais très impressionné. Mais je ne serai jamais à son niveau, c’est clairement un extraterrestre – surtout sur l’écriture, il est très rapide ! Il m’a toujours soutenu de loin, il ne m’a jamais donné de cours mais je sais que c’est quelqu’un de très exigeant et il ne m’aurait jamais proposé d’assurer sa première partie si je n’étais pas bon. Du moins j’aime le penser. (rires)

Justement en parlant de cette première partie, j’aimerais savoir si tu as appris des leçons importantes en travaillant avec cet artiste expérimenté ? En quoi était-ce formateur ? 

C’est un énorme bosseur, il peut passer des heures à perfectionner quelque chose. Même si en public il a l’air très détaché, c’est un vrai bosseur ! Il est super exigeant dans sa façon d’écrire, et nous les français on se juge tellement. Il suffit d’un mot qui soit mauvais et ça gâche toute une chanson, tu ne peux pas dire n’importe quoi. Sa manière d’écrire m’a inspiré involontairement. En fait il a dû m’inspirer sans même que je m’en rende compte.

“Lame De Fond”, c’est un titre que j’avais quasiment fini d’écrire lorsque je lui ai fait écouter. Il m’a conseillé quelques changements et moi j’avais une confiance absolue en lui, alors on a pris un peu de temps pour le remanier. Habituellement je lui fais écouter ce que j’ai déjà commencé et lui apporte quelques changements. Il n’y a qu’une seule chanson sur l’EP, c’est “Tant Pis”, qu’on a commencé à écrire ensemble.

Vu que tu mentionnes cet EP, que peux-tu nous en dévoiler ? 

J’ai pas mal travaillé avec le producteur Jules Jaconelli (qui a notamment travaillé avec Barbara Pravi et Slimane, NDLR), même si la majorité des chansons étaient déjà entamées de mon côté. Il y aura une vibe très eighties, d’ailleurs j’ai également collaboré avec mon ami guitariste Paul Pavillon – qui a directement compris mon amour pour la guitare. J’ai vraiment essayé d’en faire une musique qui me ressemble et pas une simple imitation nostalgique de ce qui se faisait avant. Ma direction principale était de faire de la musique fun, dynamique et bruyante. Je sais pas si les gens vont le ressentir ainsi mais j’ai envie de les secouer, j’ai fait ce que je voulais entendre dans la musique actuelle.

Ça m’ennuie un peu quand c’est trop dark et précieux, on a pas dix mille ans sur Terre alors il faut qu’on s’éclate un peu. Avant j’étais un peu trop sombre et sérieux, maintenant j’aime bien qu’on rigole un peu, y insérer une petite touche d’ironie. Comme chez Niagara ou chez Mylène Farmer, c’est super poétique mais il y a toujours une petite punchline qui vient casser cette harmonie.

Découvrez le dernier single d’ASPHALT – “Lame de Fond” :

Lire Aussi : Foé en interview ‘Sans filtre’ : “Des carrières comme Benjamin Biolay, je trouve ça très inspirant”