Nous avons rencontré La Grande Dame afin de discuter de son nouveau single “Parfum Orange”, pour lequel Yann – de son vrai nom – met de côté le personnage flamboyant qui l’a fait connaître afin de se livrer. Un entretien important et touchant.
La Grande Dame n’est pas un nom inconnu des français, et des anglais non plus ! Très réputée dans le milieu de la nuit, la drag queen a déjà posé et défilé pour les plus grands, mais c’est véritablement sa participation à “Drag Race France” – dont elle arrive jusqu’en finale – en 2022 qui va la révéler. Deux ans plus tard, elle acquiert une notoriété internationale en prenant part à “RuPaul’s Drag Race : UK VS. The World”. Sauf que, à peine sortie de l’émission, La Grande Dame laisse progressivement sa place à Yann, l’homme derrière le masque. C’est ce dernier qui aujourd’hui promeut son single “Parfum Orange”, qu’il décrit comme un “tournant”. Nous nous sommes entretenus avec l’artiste afin de discuter de son parcours, de son amour pour la musique ou encore de son processus créatif.
La Grande Dame, L’Interview Dix-Moi :
1) Tu viens de sortir un nouveau single qui s’appelle “Parfum Orange”. De quoi parle cette chanson ?
J’ai choisi de sortir “Parfum Orange” en tant que premier single parce qu’il illustre assez bien tout le projet musical (l’EP qui va suivre, NDLR). Il y est question de mélancolie, c’est un petit peu le récit d’une histoire d’amour avortée. Et la mélancolie se conjugue avec la nostalgie, mais on y retrouve aussi une forme de romantisme malgré tout.
Les contrastes m’intéressent toujours dans ce que je fais. Je souhaitais parler de tous ces sujets un petit peu lourds, mais avec des mots un petit peu innocents et romantiques. On a eu l’occasion de bien illustrer ça avec le clip.
2) Puisque tu parles du clip, on peut t’y voir faire la cour au mannequin britannique Koko Barno. Qu’est-ce que vous souhaitiez exprimer à travers cette vidéo ?
C’est une extension de la chanson. C’est mon histoire d’amour pansement. Je me remets justement du fléau qu’a été ma précédente relation grâce à elle, à sa beauté, sa douceur… Je trouve qu’elle était parfaite pour ce rôle et je suis ravi qu’elle ait accepté. Ça me tenait à cœur d’illustrer une forme de fluidité aussi dans la sexualité. Je suis la drag queen, tout le monde m’attend un petit peu là-dessus et je voulais proposer quelque chose de nouveau et de surprenant. La bisexualité, c’est un petit peu la grande oubliée de la cause LGBT. Et en parallèle, je trouve qu’on ne donne jamais assez de visibilité aux femmes transgenres noires. C’était mettre en valeur ma masculinité, soulever quelques questions et le faire à la recherche de la beauté.
- Où est-ce que vous avez tourné ça ?
C’était dans ma ville natale (à Toudon, dans les Alpes-Maritimes, NDLR). Toutes les plages que l’on voit, ce sont des plages très sentimentales. Il y en a certaines que j’ai adorées avec des amis, et d’autres sur lesquelles j’ai vécu mes premières histoires d’amour. Ça me tenait à cœur de rajouter autant de sens que possible à ce clip, et pour ce faire j’ai sollicité le photographe Christopher Barraja. C’est son premier clip vidéo, mais c’est un copain que je connais depuis que j’ai 16, 17 ans. Donc c’est homemade.
3) Tu en as parlé un peu juste avant, mais nous t’avons connu en tant que drag queen dans les versions francophone et anglophone de RuPaul’s Drag Race. Pourquoi ce choix de s’arrêter en si bon chemin, quelques mois seulement après la diffusion de UK VS The World (tourné début 2023) ?
Je dirais que ce n’est pas vraiment un arrêt, seulement une mise en pause. Et encore, je sors actuellement une campagne publicitaire avec Kylian Paris, qui est une grande marque de parfums, et c’est La Grande Dame qui dessert ça au mieux.
Il faut savoir que je viens d’un cursus en design, ce qui fait que je pense toujours à la fonction de ce que je fais. Ma musique, c’est une mise à nu totale. C’est justement faire tomber le masque. Le drag, ça reste le plus beau des masques, mais ça reste un masque. Je voulais faire preuve de vulnérabilité ici. Je parle de ma vie personnelle, ce que je n’ai jamais fait avec le drag. J’ai toujours créé un monde irréel pour que les gens s’évadent avec moi. Là, le but, c’est justement de les inviter dans la dureté de mon quotidien et de leur montrer mes failles et mes tracas. Donc ça ne faisait pas sens de le faire en drag. Le drag n’avait pas de fonction là-dedans autre que superficielle et je n’avais pas envie de ça.
4) Pour rebondir sur cela, beaucoup de drag queens sortent des chansons en parallèle de leur carrière dans le drag. Pourquoi avoir mis de côté le drag pour se concentrer sur la musique alors que ces deux arts sont habitués à cohabiter ?
Parce que je pense qu’elles ne parlent pas de sujets aussi personnels que ceux dont je parle. Dans l’album, il est question de relations personnelles et amoureuses. Il est également question d’addiction, il est question de choses beaucoup plus lourdes.
Et moi-même, j’ai fait de la musique en parallèle du drag. J’ai sorti “Dada”, qui était une musique de drag queens, pour les drag queens, par les drag queens. Et ça répondait à une réelle demande parce que je sortais de “UK vs The World”. Mais j’ai l’impression que j’ai déjà fait tout ça, en fait. Aujourd’hui, je me demande “qu’est-ce que je peux dire de nouveau avec ma musique ?”. Je me demande comment je peux interpeller et comment je peux faire passer les messages qui sont les miens de la manière la plus efficace… Et j’ai pensé que c’était en le faisant dans le plus simple appareil que cela allait marcher.
5) Cette nécessité de se mettre à nu provient-elle également peut-être d’une peur de ne pas être pris au sérieux en tant que musicien ?
Non, parce que je me suis assez battu pour qu’on soit prises au sérieux [en tant que drag queens]. Et je l’ai fait avec tout autant de sérieux quand je l’ai fait auparavant, avec “Accords” ou avec “Dada”. Je l’ai fait avec sérieux et je n’avais pas l’impression que ça pénalisait ma création parce que c’était fun, parce que c’était fait pour le milieu drag. Ça avait du sens. Là, ça n’en avait pas.
Je voulais proposer quelque chose de nouveau et de surprenant
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6) Et du coup, pourquoi avoir fait ce choix de garder ton pseudonyme de La Grande Dame ?
C’était une grande question [rires]. C’était une très grande question avec toutes mes équipes, et on a répondu à ça en se disant que ça restait mon identité. Je n’ai jamais non plus eu l’impression, avec la Grande Dame, de me cacher. C’est un personnage qui m’a tenu à cœur, son nom vient de ma famille, vient de mes sœurs et de ma mère. C’est quelque chose qui me tenait à cœur aussi, de le garder. Et j’ai quand même construit une image mode et une image parisienne et très française qui m’a permis de rayonner à l’international grâce à ce pseudonyme. Il n’y avait pas vraiment de raison d’abandonner ça car La Grande Dame, c’est moi.
7) Et la musique, elle a toujours été présente dans ta vie ? Était-ce une vocation ?
J’ai toujours été artiste. Après, mon grand frère est un excellent musicien. Tu lui files un instrument pendant une semaine, il sait en jouer parfaitement [rires]. C’était un petit peu son domaine à lui. On avait chacun nos petites disciplines, dans notre famille. Ma grande sœur, elle était déléguée de la classe. Elle faisait des discours devant Simone Veil au collège c’était une tête – d’ailleurs elle est avocate aujourd’hui. Mon frère, c’était le musicien et moi j’étais le garçon sensible, l’artiste. Et donc, je me suis beaucoup concentré sur les arts plastiques, les arts graphiques. J’ai toujours peint, j’ai toujours sculpté.
Et c’est vrai que c’est un petit peu plus tard que le drag m’a amené à la musique. Je dirais que j’ai véritablement découvert l’écriture il y a 4-5 ans. J’ai eu la chance de rencontrer d’excellents musiciens et encore aujourd’hui, je compose beaucoup avec Axel S (compositeur de son EP à venir, NDLR). Je m’amuse tellement dans l’exercice de la composition, dans l’écriture aussi. Car il faut le dire, ce qui est au centre de ce projet, c’est l’écriture. C’était vraiment thérapeutique. Et j’ai écrit ces chansons pour moi d’abord. Chaque chanson représente un état d’esprit duquel je n’arrive pas à me débarrasser, ils reviennent de manière cyclique et les mettre sur le papier m’a permis de les exorciser.
8) Est-ce que c’est difficile de trouver un son qui nous est propre lorsque pendant tant de temps on a incarné un personnage ?
Des amis et d’autres gens un peu plus érudits de la musique me disent que j’ai ma patte. De par ma voix, déjà, avec laquelle je m’amuse de plus en plus. J’ai quand même une signature vocale, que j’adore explorer. Et j’ai des goûts assez spécifiques. C’est pour ça qu’on s’entend si bien avec Axel S, on est un peu les mêmes. À chaque fois qu’on se fait écouter quelque chose, on adore, on s’enrichit l’un de l’autre. C’est un fada de musique comme moi, et je dirais qu’on a notre patte.
- S’il fallait donner trois figures qui ont influencé cette patte…?
Je vais commencer par celle qu’on me dit souvent, c’est Étienne Daho. Ce qui est un énorme compliment parce que c’est un des artistes que j’ai écouté le plus, étant jeune. Mes premiers souvenirs musicaux, c’est Daho. Aujourd’hui, un artiste qui m’inspire pas mal, c’est Claude. Il fait vraiment des choses très chouettes. Et enfin, je vais vous dire mon album préféré quand j’étais petit : c’était un album d’Amadou et Mariam, avec Manu Chao (Dimanche à Bamako, sorti en 2004). Sinon il y avait beaucoup Art of Noise aussi, que ma mère m’a fait découvrir très jeune. Pour eux, on pouvait créer de la musique avec tout, même avec des bruits.
9) Est-ce que tu envisages éventuellement, à l’avenir, de faire revenir ton alter ego flamboyant dans ta musique ?
Oui, si ça a une fonction. Si ça dessert quelque chose. Si ça me permet de faire passer un message. C’est là le grand pouvoir du drag : à travers le divertissement, faire passer des messages. Là, il n’était pas vraiment question de divertissement. Avec “Parfum Orange”, il était question d’exorciser, de thérapie… C’était un petit peu trop spirituel pour divertir les gens, je voulais plus les emmener avec moi.
- Oui,on se souvient que début 2024 tu avais sorti le single “Accords”. Et sur la pochette, tu apparais en drag.
Déjà sur cette chanson-là, je pense que ça aurait pu être fait en out of drag. En boy. Mais bon, je sortais de “UK vs The World”, c’était compliqué à l’époque de faire la transition que je suis en train de faire aujourd’hui. Là, ça ne ferait vraiment pas sens de le faire en drag.
10) Qu’est-ce que tu peux nous révéler sur cet EP qui arrive ? Au niveau des sonorités, des collaborations etc etc…
On est plus pop que je le pensais, finalement. Magenta Club (anciennement Fauve, NDLR) apparaît sur deux morceaux que j’ai composés. Je leur ai fait écouter plusieurs morceaux et ils ont particulièrement accroché sur deux chansons, et ils ont amené un côté très pop à des textes aussi un petit peu lourds. On sent un petit peu la pâte de fauve, surtout dans un des titres pour lesquels je leur en suis très reconnaissant, pour moi c’était un honneur. Il y aura également une inclusion plus techno avec Bagarre, qui m’ont fait écouter une de leurs chansons sur laquelle j’ai apporté ma patte.
Sinon, on adore nos petits synthés 80’s. On est sur de la musique électronique. Qu’est-ce que je peux vous dire d’autre ? Il y a pas mal de français, mais il y a un petit peu d’anglais aussi. On est toujours sur une forme de romantisme, de légèreté dans les sonorités, qui va contraster avec une certaine pesanteur dans les textes. On tourne quand même pas mal autour des relations interpersonnelles. D’une grosse histoire d’amour qui a un peu plus ressemblé à un accident de voiture qu’à autre chose. On se permet quand même des inclusions techno avec bagarre, et des choses assez sensuelles. Non, franchement, il est assez éclectique.
Et c’est que 8 titres, parce qu’on a voulu édulcorer. La plupart des textes parlent justement de cette histoire d’amour et de mon besoin de changement. J’ai plein d’autres titres en stock, ça va faire 4 ans que je fais de la musique et qu’on accumule les titres. Là, ce premier EP, j’ai un petit peu regroupé ceux qui traitaient un peu de la même chose, et de la même personne en l’occurrence. J’ai besoin qu’on le vive à fond à fond maintenant pour mieux passer à autre chose un peu plus tard. On va faire les choses à fond. Je suis très fier de ce que je présente.
Découvrez le nouveau single de La Grande Dame – “Parfum Orange”: