Suzane en interview : “J’ai beaucoup de choses à raconter”

Après une semaine de rencontre, voici notre entretien complet avec Suzane, nouvelle sensation de la scène musicale française.

Suzane dévoilait ce vendredi 24 janvier son premier album Toï Toï (expression allemande voulant dire ‘Bonne chance’ ). Cette jeune artiste originaire du Sud de la France a affolé les compteurs YouTube avec le titre “L’insatisfait” sorti il y a bientôt deux ans déjà (mars 2018). Depuis, la demoiselle a eu l’occasion de multiplier les titres, d’une efficacité rare comme “La flemme”, “Suzane” et plus dernièrement “Il est où le SAV ?” où elle nous alerte sur les bouleversements climatiques.

À cette occasion, nous avons fait le choix de consacrer la semaine entière à Suzane. L’occasion de parler de son engagement environnemental, de la place des femmes dans notre société, de l’industrie musicale mais, forcément, également de son premier cru.

Suzane et l’environnement…

Dans “Il est où le SAV”, tu parles de notre planète avec une “Terre en surchauffe” . D’où te vient cet engagement ?

Je pense que le SAV c’est nous tous !

En tant que citoyenne, c’est vrai que c’est un sujet qui me perturbe un peu. On en entend beaucoup parler. Ça reste un sujet très anxiogène. Quand je rentre chez moi, dans le Sud, je me rends compte que nos plages sont ultra polluées. On en prend conscience depuis un petit moment.

L’élément déclencheur a été lorsque je suis partie en tournée en Chine où j’ai vu que des paysages complètement abîmés et le désastre qu’il y a avait. C’est là que je me suis dit “est-ce que le monde entier sera envahi de cette manière un jour ?”. C’est là également où j’ai écris dans ce bus qui m’a emmené à Shangaï et je ne regrette pas d’avoir pris ce bus puisque ça fait pratiquement un an que j’ai écris “Il est où le SAV ?” (mars 2019).

J’ai l’impression que cette chanson est toujours d’actualité aujourd’hui. Le texte résonne toujours du moins. Je trouve ça terrible ce qu’il se passe en Amazonie, en Australie. Je ne regrette vraiment pas d’avoir écrit cette chanson. 

Quel a été ton constat vis à vis de ces récents événements justement ?

Je suis tombée sur ces images, comme tout le monde sur les réseaux. Je vois ces pauvres koalas qui meurent en Australie. J’essaye de m’engager un maximum. J’ai fait des dons, j’essaye de partager à ma communauté ces choses-là et d’en faire prendre conscience. En tout cas, j’ai eu beaucoup de retours sur cette chanson et je pense que les gens ont pas mal d’espoir et ils me rejoignent sur ce message du “Il est le SAV ?” et je pense que le SAV c’est nous tous !

On remarque que la jeune génération s’implique aussi énormément. C’est quelque chose qui te choque ?

Qu’on soit riche, pauvre, politicien… l’impact est le même pour tout le monde

Je pense que cette génération souffre de ce mal-être. Je reçois beaucoup de messages de jeunes gens qui se confient à moi et qui me disent qu’ils ont l’impression d’être né dans un monde qui n’est pas prêt à les accueillir, un monde qui part en fumée, que pour eux c’est plus compliqué de voir l’avenir dans un monde qui part un peu en cacahuète.

Je trouve ça bien que les ce soit les jeunes qui se manifestent. Je trouve ça dingue ! Greta Thunberg n’est même pas encore majeure qu’elle se révolte. Je trouve ça encore plus choquant que des enfants prennent autant position. Ce n’est tout simplement jamais arrivé ! Ce sont souvent des adultes qui descendent dans la rue. Aujourd’hui, ce ce sont les enfants qui ne vont plus à l’école parce qu’ils savent qu’ils n’ont plus d’avenir. Ils se battent pour ça. 

Découvrez “Il est où le SAV ?” de Suzane :

N’est-ce pas ironique que les décisions concernant l’environnement soient prises par 1% des hommes sur la planète et qu’une personne faisant partie des 1 % les plus riches au monde génère en moyenne 175 fois plus de CO2 qu’une personne se situant dans les 10 % les plus pauvres ?

C’est vrai que je trouve ça fou. Qu’on soit riche, pauvre, politicien… l’impact est le même pour tout le monde, on respire le même air. Je pense qu’on est tous concernés. Évidemment, des gens ont plus de poids pour faire avancer les choses et j’espère qu’ils le feront un jour. L’inégalité mène à la destruction. C’est triste, mais c’est réel.

Si demain tu étais présidente d’une association éco-responsable, qu’est-ce que tu changerais dans un premier temps ?

Je pense l’usage du plastique à effet unique. On est dans une société de consommation où l’on est tout le temps en train de réfléchir. On nous propose un tas de choses qui ne sont pas bonnes pour l’environnement. Je prendrais des mesures dans la manière de produire des choses, notamment sur le pourquoi on emballe nos légumes avec du plastique.

Pourquoi utilisons nous autant de plastique ? C’est vrai que moi j’utilise une gourde pour éviter d’acheter des bouteilles. J’aimerais surtout pouvoir informer et éduquer les gens. Le problème actuel c’est que les gens veulent aider, mais ne savent pas vraiment par quoi commencer pour qu’il y ait un impact.

Suzane, les femmes, la musique…

Dans ton album, tu dresses différents portraits. Comment tu vois-tu la femme aujourd’hui au sein de la société actuelle ?

On est dans l’urgence de la recherche de parité.

J’ai l’impression qu’il y a une évolution. J’ai l’impression que la parole de la femme se libère. Malgré ça, je pense qu’il y a encore du travail mine de rien. Je vois encore beaucoup de choses autour de moi sur l’association ‘Nous Toutes’. Je vois descendre ces femmes dans la rue pour manifester. Mais on a toujours dans les faits des femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint. Donc il y a de l’évolution mais on y est pas encore ! De plus en plus d’artistes féminines prennent la parole et je trouve ça bien. Mais il y a encore du chemin !

La femme n’a jamais été autant au cœur de l’actualité et des informations. Pourquoi d’après toi ?

Je pense que c’est notamment grâce au mouvement ‘Mee Too’. Je ne sais pas d’où vient ce changement mais on entend beaucoup dire que le féminisme est à l’extrême et je ne suis pas forcément d’accord. Je pense simplement qu’autrefois, les femmes se taisaient. Aujourd’hui, elles ne se taisent plus. Aujourd’hui, on est dans l’urgence de la recherche de parité, ne serait-ce qu’au travail. Encore aujourd’hui, j’ai des amies qui sont moins payés que des garçons alors qu’elles font le même boulot. Il y a encore beaucoup de choses à revoir. 

En tant qu’artiste et en tant que femme, ton chemin a-t-il été semé d’embûches ?

Trouver sa place, c’est quelque chose qui met du temps.

Je ne sais pas vu que je n’ai jamais eu l’occasion de vivre en tant qu’homme (Rires). Je n’ai pas l’impression que le fait d’être une femme m’ai ralenti, mais il y a toujours ce côté où, quand tu es une fille, tu ne sais soit disant pas appuyer sur un bouton. On te demande toujours si tu n’as pas eu le temps de trouver un garçon pour mener à bien ton projet jusqu’au bout… C’est vrai qu’on est toujours obligée de se justifier de faire ça, et pourquoi, et surtout comment ! On peut le ressentir de temps en temps, mais j’ai la chance d’être entourée d’une équipe plutôt mixte. On va dans ce sens en tout cas.

Devenir une artiste aujourd’hui, c’est compliqué ? 

Oui, je pense, ce n’est pas évidemment car il y a beaucoup d’artistes, il y a YouTube et il y a beaucoup de biais qui font que les artistes naissent. Pour trouver sa place, c’est quelque chose qui met du temps. Il faut avoir un bon développement, être capable de défendre de bonnes chansons qu’on a écrites. C’est tout un chemin qui est long, qui est beau, mais long !

Découvrez “L’insatisfait” de Suzane :

Toujours avec ton regard d’artiste émergent, que penses-tu de la gestion de la musique en France ?

La musique vient appuyer les mots.

Je pense que c’est un peu à chacun, selon la musique et l’univers, de trouver sa place. Admettons, un rappeur va beaucoup plus être écouté sur le streaming et peut-être un peu moins médiatisé en radios parce que c’est Skyrock qui a l’emprise sur les rappeurs. Mais tous les médias sont intéressants car le but étant qu’on partage notre musique à fond.

Ce que j’aime, c’est que la musique soit consommée par plusieurs générations et de façon différentes. Les jeunes vont forcément aller plus sur Spotify mais quelqu’un d’une génération différente va me découvrir à la radio et va ensuite aller acheter le CD. Je pense que c’est important d’avoir les deux canaux.

Que privilégies-tu toi aujourd’hui ?

Je ne suis pas fermée ! Je ne demande que les portes s’ouvrent ! Le mieux est évidemment d’avoir le tout, c’est-à-dire que quelqu’un puisse pouvoir m’écouter sur scène et lorsqu’il retourne dans sa voiture qu’il puisse éventuellement ré-entendre l’une de mes chansons. Ça fait un lien, c’est cool ! C’est ça qui est bien !

Comment arrives-tu à mettre en musique ces portraits dont tu parles dans chacune de tes chansons ?

J’aime beaucoup écrire le texte d’abord. Quand je commence à avoir un texte bien fluide, un peu comme une pièce de théâtre, je me la répète et la mélodie arrive ensuite. La musique vient appuyer les mots. Chaque message est différent et la musique vient se broder différemment selon l’histoire que je veux raconter. 

Toï Toï Suzane !

On a attendu plus d’un an pour l’album. C’est long ! Comment cette conteuse d’histoires sur fond d’électro a réussi à conceptualiser cet album ?

C’était assez fou de me retrouver avec le vinyle dans les mains.

Je pense que ça s’est fait naturellement. Cet album, je l’ai beaucoup fait à l’instinct. Tout est plutôt lié mais le but était de décrire, à travers des personnages, l’époque dans laquelle je vis. C’est un peu ça le concept. Garder une écriture qui est la mienne. On peut tomber sur “Anouchka” et sur une musique un peu plus électro. Chaque histoire est racontée avec mes influences, chanson française, plus électro, ou un peu plus urbain. 

Après cette longue attente, il te devait de rajouter des nouveaux titres sur cet album, et c’est ce que tu as fais…

Oui, oui. Il y a plein de nouveaux titres que les gens n’ont même peut-être pas entendus en live. Il y a “Petit gars” qui est sur l’album, “Aux quatre coins du globe”, “Potin”… Ils méritent tous le détour !

Peut-on dire qu’il s’agit de l’album de tes rêves ?

Le premier, c’est toujours quelque chose d’assez fou. J’ai l’impression que ça fait 29 ans que je pense à cet album et aujourd’hui il est fait, il existe. C’était assez fou de me retrouver avec le vinyle dans les mains. C’est une première fois. J’espère qu’il y en aura d’autres car j’ai beaucoup de choses à raconter. 

À quoi doit s’attendre le public sur cet album de fou ?

Hélas, il n’y a pas forcément de collaborations. C’est vrai que j’ai uniquement eu l’occasion d’être accompagnée de mon ami Témé Tan sur le titre “Il est où le SAV ?”. Mais là où les gens peuvent être surpris c’est qu’il y a des chansons dans des veines différentes. Il y a plusieurs facettes, pas qu’une seule recette, et je pense que chacun peut se retrouver dans des chansons différentes. J’ai hâte que les gens découvrent “P’tits gars” car c’est une chanson qui me parle beaucoup. J’ai hâte d’avoir des retours là-dessus.  

Découvrez “Suzane” de Suzane :

Un engouement médiatique a vite grimpé autour du phénomène Suzane. Ça te plaît ?

Je trouve ça plutôt flatteur que les gens veuillent que je représente la France à l’Eurovision.

Bien sûr ! C’est plaisant. On a construit tout ça avec l’équipe qui m’entoure. On a pris le temps de faire les choses bien, je pense. Là on arrive au moment où on a tendu la corde et il est temps de lâcher la flèche. Je pense avoir eu le temps d’avoir profité du paysage. Ça va vite, mais pas tant ! On a eu le temps de réfléchir à chaque chose. Aujourd’hui, je me sens à l’aise dans chaque chanson et chaque clip que je défends. Aujourd’hui c’est super que les gens arrivent à moi.

Tu comptes huit millions d’écoutes sur YouTube et une centaine de dates de tournées et de festivals à ton actif rien qu’en 2019. Les plus grands festivals te programment cet été. Les 67 millions de Français vont bientôt connaître Suzane à force ?

On espère ! (Rires). Ce serait super !

D’ailleurs, ta célèbre combinaison bleue n’est pas trop délavée depuis le temps que tu tournes ?

Non, ça va. J’en ai plusieurs et elle passe quelquefois chez le pressing, donc ça va ! (Rires)

Dernière question, Suzane à l’Eurovision c’est pour quand ?

Je pense pas tout de suite. Je vois souvent des gens qui m’en parle. Je trouve ça plutôt flatteur que les gens veuillent que je représente la France à l’Eurovision, mais je ne pense pas que ce soit un format d’émission où je pourrais être très libre de m’exprimer comme j’aimerais le faire. Je ne pense pas que ce soit l’endroit où je puisse être moi-même. Je préfère me concentrer sur la sortie de l’album, sur mes concerts. J’ai la chance d’être déjà bien écouté. Pour l’Eurovision, je ne sais pas !

UNE SEMAINE AVEC…
SUZANE !